Carabistouille

Publié le 28 avril 2019 par Rolandlabregere
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On a tant aimé souffler sur un pissenlit fané à la tête ébouriffée pour répandre à la ronde  les dizaines d’aigrettes grisâtres piquetées sur leur capitule.  « Je sème à tout vent » dit la jardinière des dictionnaires Larousse. Sur l’image, ce sont les akènes qui se dispersent comme les mots des orateurs et de tous ceux qui font profession de les prodiguer.  Association d’esprit bien réussie pour signifier que les mots voyagent comme les petits fruits du pissenlit. Ils se disséminent en catimini. Ils se fixent sur un éclat de terre fertile. Ils taisent leurs origines. Ils jouent au passe-muraille. Et hop, les voilà surpris en flagrant désir d’ignorer d’où ils viennent.

La compétition électorale des prochaines européennes, comme tout événement porteur d’enjeux, attise la concurrence des petites phrases et des mots bien frappés pour marquer les esprits. Voilà « carabistouille ».  Ce qui est répété plait. Haec decies repetita placebit, énonce un aphorisme inspiré de l’Art poétique d’Horace. Une œuvre reprise dix fois plaira. C’est en tout cas ce que s’imaginent les porteurs d’eau des partis ou les installés en bonne place. Les premiers, à défaut d’entrouvrir la route de leur destin, tentent de se faire un nom dans le brouhaha quotidien. Les autres, cherchent à confirmer leur bonne place pour rester en première division de la compétition. Quoi qu’il en soit quand un mot marche, il faut le doper pour le faire courir. Tout le monde s’y accorde. Tout le monde s’y met. Le reste n’est que mondaine calembredaine ou baliverne de taverne.

Il y a donc de la carabistouille dans l’air, terme que le CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) donne pour un belgicisme « qui s’emploie surtout au pluriel ». Au générique, les séquences où les carabistouilles prennent la lumière s’empilent. Pour Guillaume Peltier, dernier des utilisateurs, les annonces faites par le président de la République pour répondre grand débat national ne sont qu’un « mélange de rustines et de carabistouilles ! » (Le Parisien, 25 avril 2019). Le député du Loir-et-Cher, 1er vice-président des Républicains, sans doute content de sa formule, sait-il qu’elle est déjà sur le marché ?

Emmanuel Macron qui aime émailler ses propos de termes désuets en a fait usage au cours d’un entretien délivré dans une classe de l’école Berd’huis en Normandie. Interrogé le 12 avril 2018, sur les grands thèmes de l’actualité et sur les inquiétudes des Français, le Président a lâché qu’il ne fallait donc « pas non plus raconter des carabistouilles à nos concitoyens ». Peut-il revendiquer l’antériorité dans l’acte de renaissance de ce mot ? Il semblerait que non. Haranguant ses partisans à Clermont-Ferrand le 26 novembre 2017, au terme de la Convention nationale de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a expliqué que les premiers mois de la présidence Macron n’étaient que « carabistouilles, embrouilles et enfumage… pouilles et noises ». Tout ça. L’accumulation permet de hausser le ton. On sait que le député de Marseille se plait à illustrer ses propos de formules évocatrices mais est-il pour autant le premier à joindre l’insolence à l’analyse de la situation ? Hélas, une espiègle depuis retirée des parties de boules de neige lexicales y avait déjà eu recours. En décembre 2015, Nathalie Kociusko-Morizet, alors députée de Paris, au cours d’un déplacement en Belgique, déclarait que ceux qui « promettent l’abrogation de la loi Taubira racontent des carabistouilles ». Etait-elle l’initiatrice du retour de ce mot aux allures de plat pays, formé du préfixe cara dont l’origine n’est pas clairement identifiée et de bistouille, employé dans le Hainaut et dans le Nord de la France, pour désigner un café auquel on a ajouté une rasade d’eau-de-vie, d’après Michel Francard, linguiste, professeur à l’université de Louvain ? Ce serait pure galéjade que de le croire ! Et l’on retrouve Jean-Luc Mélenchon qui le 13 novembre 2011 critiquait rudement le programme de François Hollande en exposant que «tout cela sent beaucoup la carabistouille». http://rolandlabregere.blog.lemonde.fr/2011/11/16/carabistouilles-et-repliques-cultes/ Les présidents changent mais les discours s’élaborent avec les mêmes ingrédients. Durer, c’est faire de la bidouille.

 Si la fréquence de l’emploi et l’application dans l’usage peuvent donner quelques indications sur le style, alors Jean-Luc Mélenchon, obstiné et créatif, pourrait néanmoins revendiquer sur ce terme qui sonne bien non pas des droits de propriété mais une forme d’usufruit. En tout cas, il montre qu’il l’affectionne. En terme d’antériorité, il est bien placé. Le 15 janvier 2017, à propos de la présidentielle et des possibles alliances à gauche, il déclarait : « Je ne suis pas intéressé à la carabistouille», pour repousser toute idée de rapprochement avec Benoît Hamon, qui portera les couleurs du Parti socialiste. Auparavant, le 10 février 2016, il récusait déjà toute idée d’union en dénonçant la politique conduite par François Hollande : «Voilà comment on traite une élection, dans un rapport ouvert aux citoyens, pas dans une carabistouille entre partis». Ces usages répétés lui assurent un avantage indiscutable.

Par sa finale « ouille », évocatrice de la douleur morale ou physique, carabistouille vise à produire un choc pour ce qui est désigné, personne ou principe. La moquerie et l’ironie sont au rendez-vous. Avis aux niquedouilles, ceux qu’on embarbouille.