« A l’âge de 12 ans, j’eus l’ambition de devenir un gangster. Un affranchi. Pour moi, c’était mieux que d’être président des Etats-Unis. Ca signifiait être puissant parmi des gens qui n’avaient aucun pouvoir. Ca voulait dire des avantages dans un quartier d’ouvriers qui n’avaient aucun privilège. Etre un affranchi, c’était posséder le monde. Je rêvais d’en être comme d’autres gosses rêvent d’être médecin ou star de cinéma, ou pompier, ou joueur de baseball. » Pendant un quart de siècle, Henry Hill va réaliser son rêve d’enfant.
En 1980, lorsque la police fédérale l’arrête, on le soupçonne d’avoir participé au vol de 6 millions de dollars de devises acheminées par la Lufthansa. Les enquêteurs veulent aussi l’interroger sur la série de meurtres qui a décimé les membres présumés de ce coup d’éclat criminel – la plus forte somme d’argent liquide jamais dérobé sur le territoire américain ! D’autres policiers veulent encore l’entendre au sujet de paris sportifs truqués, de caches d’armes automatiques. Mais, avant tout, c’est son implication dans un trafic de drogue d’envergure qui menace de l’envoyer en prison pour le restant de ses jours. Alors Henry Hill décide de faire « la seule chose raisonnable : cesser d’exister. » Hill et sa famille rejoignent le programme de protection des témoins du FBI, qui leur assigne une nouvelle identité, une nouvelle adresse, loin de ce monde interlope qui l’avait tant fasciné, peuplé de bookmakers et d’anciens jockeys, de prêteurs sur gage et d’agents de caution, de syndicalistes véreux et d’hommes de main – parmi lesquels quelques vétérans de la guerre des gangs qui avait sévi au cours des années 30.
Une scène. Lorsque Hill invite celle qui deviendra plus tard sa femme à passer la soirée dans un club, le couple contourne la file d’attente des clients habituels, s’engouffre par l’entrée de service, parcourt le long dédale des cuisines et des coulisses jusqu’à une table dressée pour eux au premier rang, où du champagne les attend. Tout leur trajet est filmé en un seul plan, sans interruption, un long plan séquence virtuose. Sur leur chemin, les portes s’ouvrent, les gens s’effacent. Entre eux et leur plaisir, tous les obstacles sont tombés.
Une autre scène, un autre club. DeVito, un associé de Hill, vient de massacrer à coups de pied et de poing un homme qui lui a manqué de respect. Hill et ses amis enterrent le corps. Quelques mois plus tard, un chantier menace de découvrir la sépulture. Il faut déplacer le corps. On creuse à nouveau, la nuit, à la lueur des phares. Nuage de poussière où se diffuse la lueur rouge des feux arrière. Dans une puanteur infernale, le cadavre s’exhume. En s’écartant pour vomir, Hill entend ricaner ses complices.
Pour certains cinéastes, montrer la violence est une fin en soi. Elle les fascine, mais ils n’en voient pas les ressorts, alors ils l’esthétisent pour prétendre au moins qu’elle ne les effraie pas. Scorsese, qui est sans doute mieux renseigné, n’a pas ce genre de complaisance. Chez lui, l’arriviste côtoie le sadique. L’un se résigne à la violence pour obtenir les moyens de la jouissance matérielle. Chez l’autre, la brutalité est une manière perverse de jouir, mais c’est aussi une façon d’obtenir le respect craintif des autres.
Du livre lui-même, j’aurais voulu dire quelque chose. Malheureusement, je n’ai pas réussi à mettre la main dessus. Les deux titres de Nicholas Pileggi, qui avaient paru chez Pocket (Les Affranchis, traduit par R. Baldy, en 1990 et Casino, traduit par A.Champon, en 1995) sont tout à fait épuisés : « Arrêt de commercialisation », dit l’éditeur, qui préfère sans doute le cinéma. Cela fera bientôt quinze et vingt ans que les deux livres ont paru en France. Une réédition pour fêter l’anniversaire ?
Sébastien Banse
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