Après la mise en place d'un guichet des riches efficace et rapide, la Macronie ouvre son An II en empruntant la violence des actes et des mots chère à l'extrême droite française.
L'ennui et le flop
L'exercice, pourtant rare, ne mérite pas le détour. Jeudi 25 avril, Jupiter rassemble 300 journalistes pour l'essentiel atones ou coincés, dans la salle des Fêtes de l'Elysée. Une heure de discours, puis deux heures de questions lénifiantes sur son moral, sa solitude, son caractère, sa méthode, ses états d'âme ou son intention de se représenter en 2022. Les rares questions précises ne sont pas gênantes, comment pourraient-elles l'être ? Elles sont filtrées par le contrôle du micro, et les journalistes par la détention d'une carte de presse. Aucun des représentants des médias les plus piquants (Mediapart, les Jours, Fakir, Le Media, Politis, l'Humanité, Bastamag, Le Monde Diplo, le Canard Enchaîné, etc) ne peuvent poser une seule question au monarque. L'exercice est une communication à sens unique, rien de plus.
Macron fait la lecture attentionnée du discours qu'il aurait du prononcer la semaine précédente face caméra et sur toutes les chaînes simultanément si la Cathédrale Notre-dame de Paris n'avait pas flambé. Ses propositions "détonnantes" avaient déjà fuité, cette relecture répétitive et à voix haute, comme celle d'un professeur faisant la leçon à des élèves qui ne l'auraient pas comprise, est donc ennuyeuse: pas de reconnaissance du vote blanc, peu de proportionnelle, un coup de pouce fiscal anecdotique, quelques diversions positives (24 élèves par classe de maternelle) sur les réductions des services publics, la réindexation sur l’inflation des retraites à moins de 2 000 euros qui n'est l'annulation de l'une de ses propres mesures les plus iniques, une attaque en règle contre les hauts fonctionnaires et l'ENA pour protéger les ultra-riches. Et un appel à "travailler plus pour gagner plus".
La réappropriation des moindres recoins idéologiques foireux du sarkozysme est complète. "Macron republie ses petites annonces" résument Les Jours."Face à la presse, Macron promet qu’il ne changera rien" complète Mediapart. Jupiter s'attribue à juste titre un point que personne ne lui conteste, les réductions d'impôts: une douzaine de milliards d'euros pour les ménages en 2018/19, également réparti avec une inéquité dont seule ce guichet des riches a le secret, entre un demi-million d'ultra-riches et 37 autres millions d'autres foyers.
«J’ai trouvé que le Président de la République était très bavard, mais qu’il se révèle surtout très avare» Emmanuel Maurel, socialiste, candidat LFI aux Européennes.
Mensonges et silences
Alors que la moitié de son gouvernement a peine à masquer son endormissement, Macron ment, oublie et masque à grands renforts de sourires, de source-cils levés et de doigt levé pointant l'assistance.
Cet homme confie qu'il a découvert la France grâce au Grand Débat. Va-t-il enfin confier son programme pour les élections européennes qui ont lieu dans 4 semaines ?
Mais pour justifier la faiblesse de ses annonces et ces grands angles morts, il lâche cette formule: "le président n'est pas le guichet de toutes les revendications". Que cette formule est cocasse quand on se rappelle avec quelle célérité, grâce à quelques réunions secrètes et décisives au début de l'été 2017, la gigantesque réforme fiscale pour les riches fut décidée - suppression de l'ISF, plafonnement de l'imposition des revenus du capital à 30% (flat tax): 5 à 6 milliards au bénéfice d'un demi-million d'ultra-riches gentiment accordés par Macron à celles et ceux qui l'ont choisi en 2014, financé en 2016 et fait élire, sans programme mais beaucoup de marketing, en 2017.
Il a raison. Reconnaissons-lui cela. Macron n'est plus le président des riches. Macron n'est que le guichet des Riches, leur protecteur idéologique dans le débat public, leur rempart politique.
Jupiter s’emmêle les pinces dans une logorrhée en faveur de la "délibération" nécessaire pour accoucher de bonnes politiques, alors que sa politique a justement visé à réduire le temps de délibération dans le pays: en entreprise, en fusionnant les différentes instances du personnel pour supprimer quelques 200 000 postes de représentants des salariés; au Parlement, où son projet de réforme constitutionnelle prévoit la réduction du nombre de parlementaires et du temps de délibération parlementaire; en période d'élections où pour ce scrutin européen, comme pour les élections présidentielle puis législatives, Macron tarde à dévoiler son programme (il n'est toujours pas publié à moins de 4 semaines du scrutin !), pour éviter les critiques et le débat.
Macron promet aussi que les CAF aideront au versement des pensions alimentaires aux familles mono-parentales, une mesure qui existe déjà depuis ... 2013.
Macron ment sur les services publics, quand il promet de "remettre de la présence de services publics dans les territoires" car il va réduire de 120 000 le nombre de postes de fonctionnaires, dont la moitié justement dans les territoires.
Macron ment par omission quand il promet que les fermetures d'hôpitaux ou d'écoles n'auront plus lieu sans l'autorisation du maire. il cache que les suppressions de lits ou de services spécialisés (maternité notamment) ou les fermeture de classes se poursuivront. "Le dire, c’est bien, le faire c’est mieux", résume l'un des syndicats enseignants. Justement, rapporte le Canard Enchaîné ce 24 avril, les syndicats enseignants viennent de recevoir quelques nouvelles de coupes d'effectifs et réduction de moyens: sur 96 départements, 1267 fermetures de classes, dont 320 dans des territoires ruraux, ont été prévues en maternelle et primaire. Pour le secondaire, on compte déjà 2 600 suppressions de postes de professeurs en septembre 2018, et encore 2 650 en septembre 2019, malgré une augmentation de 110 000 élèves sur ces deux années (et +40 000 encore attendus en 2020). Le gouvernement a aussi supprimé 1000 places au concours d'instituteurs en 2019, et les deux tiers des postes affectés au dédoublement de professeurs dans les classes prioritaires (2000 sur 2900).
Bavard et avare
Macron ment sur les créations d'emplois depuis son accession au pouvoir: non seulement elles n'ont pas dépassé les 500 000, mais elles se sont même effondrées de moitié en 2018 (149 000) par rapport à 2017 (338 000).
Macron ment sur le temps réel de travail en France prétendument l'un des plus bas en Occident (il est supérieur à l'Allemagne et identique au R-U): les Français qui travaillent travaillent plus que leurs homologues européens.
Macron ignore l'urgence écologique, rien à dire sauf la création d'un gadget, le "conseil de défense écologique". François de Rugy (qui ?) sera heureux d'apprendre qu'il ne sert à rien. Pourtant "plus rien ne sera comme avant" répètent ses perroquets. Pourtant, la France est en retard sur ses propres engagements à la COP21. Pourtant, la Macronista préfère mettre en œuvre le CETA, prolonger la durée de vie de centrales nucléaires hors d'âge, repousser les objectifs de la loi de transition écologique, réduire de moitié les crédits à la rénovation thermique des logements.
Macron applaudit à la hausse prévue du pouvoir d'achat, oubliant que c'est principalement grâce aux mesures forcées par l'action des Gilets Jaunes en décembre dernier. Mais il oublie les pauvres, les vrais, les invisibles, et la misère de son maigre plan anti-Pauvreté de septembre dernier: ATD Quart Monde et le collectif ALERTE s'en indignent le lendemain: "Les associations de lutte contre l’exclusion rappellent que la désindexation des aides au logement, des prestations familiales ou encore de l’AAH décidées pour 2019 entraînera une baisse du pouvoir d’achat pour les 10 % des ménages les plus pauvres."
Macron fait un geste pour réhausser le minimum contributif à 1000 euros mensuels (retraite minimale pour les cotisants à taux plein). Il enfume son auditoire quand il promet de ne pas toucher à l'âge légal de départ à la retraite mais plutôt d'allonger la durée de cotisations de référence pour le calcul de la retraite: Vous pourrez partir à 62 ans, mais avec une décote si vous n'avez pas cotisé suffisamment longtemps. L'allongement de la période de référence permettra même de faire baisser mécaniquement les pensions. Face à cette arnaque, l'explication mielleuse du jeune monarque qui, la main sur le coeur, s'exclame qu'il serait "hypocrite" de décaler l'âge légal "tant qu'on a pas réglé le problème du chômage" sonne faux et donne même la nausée.
Où sont les journalistes ?
Il fallut attendre la fin pour une question qui piquait un peu, quoique timide, sur l'éventuel regret d'avoir embauché Benalla. Mais la question était ratée. Un journaliste, un vrai, aurait demandé des suites sur les révélations incroyables qui ont été faites depuis l'été - passeport diplomatique, prestations de sécurité pour des oligarques russes quand il était à l’Élysée, mise en place d'une troupe de sécurité parallèle, etc.
De vrai(e)s journalistes auraient interrogé l’Élysée sur l'injustice fiscale de son quinquennat. Ils l'auraient certainement repris quand Macron répétait que son gouvernement avait baissé incroyablement les impôts - ce qui est vrai, mais pour qui ? Les heureux élus de ces deux années macronistes furent les plus riches.
De vrais(e) journalistes l'auraient interrogé sur l'ampleur de la répression contre les manifestants, les 300 violences policières recensées, les 250 mutilés, le fichage des blessés par les Hôpitaux de Paris, l'impunité des unités mobiles anti-casseurs (152 blessés en quelques mois leur sont imputés!), l'arrestation de journalistes ou de street-medics, la réduction des libertés publiques (loi anti-anticasseur, loi sur le secret des affaires, loi sur l'état d'urgence): "Quand on est devant le chef de l'État et que pas une seule question n'est posée sur le sujet, à l'heure où il y a un débat sur la carte professionnelle des journalistes, c'est une faute professionnelle" commente le journaliste David Dufresne`. Une faute professionnelle certainement, mais de la complicité de classe également.
De vrai(e)s journalistes l'auraient questionné sur l'endogamie bourgeoise, l'entre-soi des puissants, les nominations pistonnées (Ferracci, Veil, Attal, etc) es amis bien placés, les robes de luxe prêtées à Mme Brigitte Macron (qui se souvient de Fillon planté en pleine campagne parce qu'il avait accepté 2 costumes quand il était premier ministre ?). De vrai(e)s journalistes se seraient interrogé(e)s sur ces nominations complaisantes, comme celles d'une présidente radiophonique, certes talentueuse, mais épouse d'un conseiller de campagne très actif du jeune monarque. Ou d'une directrice de communication de La Française des Jeux au moment où son mari préside le groupe des députés macronistes qui vote la privatisation de la dite entreprise.
Il y avait peu de vrai(e)s journalistes à prendre le micro ce soir-là. Nous étions au théâtre, sans doute l'épilogue du show médiatique du Grand Débat. La réduction du sens critique était extrême. Comment n'ont-ils pas compris, ces journalistes, que leur présence studieuse et silencieuse était ce soir-là aussi étourdissante ? Cette complicité de classe ou par trouille faisait peine à voir. Elle en rappelle d'autres.
"Un horaire innovant pour un exercice classique. C’est la signature d’Emmanuel Macron, un président rebelle mais qui reste dans les clous". Michael Darmon, éditorialiste à Europe 1, 25 avril 2019
Merci à Fred Camino pour les clichés du bas.
Radicalisation
Le blabla jupiterien n'a pas convaincu en-dehors du cercle des ultra et de quelques radicalisés. Même la presse complaisante est contrainte à l'aveu, le propos est décevant. Les annonces anecdotiques ou minorées. Le Parti Médiatique cherche des circonlocutions pour rester positif malgré le désaveu - "Emmanuel Macron : les Français pas convaincus par son intervention mais favorables à plusieurs de ses annonces" explique le JDD. Le chef de l’Etat "a voulu rassurer sur la matière régalienne... dans le discours essentiellement, car les annonces restent minces" commente l'Opinion.
Effrayée, la Macronie se radicalise. Elle ne veut plus voir les dérives liberticides d'un régime qu'elle soutient mais qui l'effrayerait si Marine Le Pen en tenait les commandes. Elle ne s'offusque pas du nombre de mutilations de civils depuis 6 mois. Elle fait mine de croire à l'argument que le raccourcissement des délais de dépots de dossier est une réponse positive aux temps d'attente des migrants (non, Mme Ndiaye, vous ne faite pas preuve d’humanité, quand au lieu d’améliorer les moyens de traiter rapidement les dossiers d'asile, vous réduisez les délais de demandes).
De vrai(e)s journalistes l'auraient questionné sur cette xénophobie macroniste qui ne dit pas son nom. Le plus tristement fascinant de cette radicalisation du macronisme est sa dérive vers l'extrême droite et la droite furibarde.
L'An I du macronisme était la révélation rapide et sans conteste d'une présidence pour riches, la mise en place d'un guichet des riches efficace et rapide, et d'un soutien aux grandes entreprises à travers le contreproductif doublement du CICE et la précarisation des salariés avec les ordonnances travail.
L'An II prend une direction complémentaire: une dérive autoritaire qui appuie désormais ses actes sur le vocabulaire même de l'extrême droite à la faveur du scrutin européen.
Pour se défendre, Macron emprunte formules et concepts à l'extrême droite et la droite furibarde. Lors de sa conférence de presse, il accuse ainsi franchement « l’islam politique » de vouloir « faire sécession avec la République ». L'islam politique est un concept sur-utilisé par lextrême droite islamophobe qui permet d'amalgamer l'islam avec l'islamisme. Il fustige aussi les "détournements profonds du regroupement familial et de l'asile". Il promet également un débat annuel au parlement sur la politique migratoire... pour "rebâtir un patriotisme inclusif". Sur les ondes, sa tête de liste aux Européennes, Nathalie Loiseau, dont Mediapart a révélé sa participation sur une liste d'étudiants à SciencesPo avec des ex- du GUD, explique benoitement: "Nous voulons une politique migratoire qui protège nos frontières et nos valeurs". Même le Medef semble applaudir aux convergences économiques LREM/RN...
Renaissance européenne, patriotisme inclusif, "nos frontières et nos valeurs"...
Ami(e) macroniste, cher castor, où en es-tu ?