« Notre-Dame de Paris » : le sauvetage en prose de Victor Hugo

Par Plumehistoire

31 janvier 1831. Victor Hugo met un point final au manuscrit de Notre-Dame de Paris. Il a presque deux ans de retard sur l'échéance demandée par son éditeur parisien, Charles Gosselin. Qu'importe : Le 16 mars, le roman est mis en vente en deux volumes et la version finale sans retranchement sera publiée l'année suivante. Si les personnages de Quasimodo, Frollo et Esméralda soulèvent des controverses, tout le monde est conquis par la véritable héroïne de ce roman : la cathédrale Notre-Dame !

Une fresque largement commentée

Une triple rivalité est au cœur de l'intrigue : Quasimodo, sonneur de cloche difforme, Frollo, archidiacre austère et le capitaine Phébus, bellâtre à la tête creuse, cherchent à conquérir le cœur de la belle bohémienne Esméralda. Amoureuse du capitaine qui finalement se joue d'elle, Esméralda est victime des manigances de Frollo, qui préfère lui ôter la vie plutôt que de la voir lui échapper. Malgré tous ses efforts, Quasimodo ne parvient pas à sauver Esmeralda et finit par se laisser mourir à son tour...

Foisonnement incroyable d'idées et de personnages, panorama exceptionnel du Paris médiéval, cet ouvrage est une fresque moderne éminemment tragique qui renouvelle en profondeur l'art du roman. On commente abondamment dans la presse la nouvelle création de celui qui, à moins de 30 ans, s'est imposé comme le chef de file des romantiques depuis sa pièce Hernani. La critique est mitigée. Le Figaro du 24 mars 1831 a du mal à émettre un avis tranché :

C'est une tâche assez difficile que de rendre compte du nouveau roman de M. Hugo. Il y a dans ces deux énormes volumes tant et de si bizarres choses que, lorsque vous arrivez à la fin, étourdi, ébloui, confus, vous voyez tout tourner autour de vous comme dans un rêve ou un vertige. Dévouements, atrocités, repaires infâmes, églises, boudoirs, potences, plomb fondu, batailles, feu, fumée, fleurs, squelettes, anges, monstres, ciel, enfer, il y a de tout dans Notre-Dame.

Si on reproche à l'œuvre d'être immorale (la fatalité guide le destin de chacun des protagonistes), la presse salue l'imagination débordante de l'auteur et sa capacité inégalable à planter le décor. Le Journal des débats politiques et littéraires du 15 juin 1831 commente :

La fantaisie qui a inspiré ce roman, c'est l'amour de l'architecture du Moyen-Âge, fantaisie noble, poétique, où il y a plus de philosophie et de sens qu'on ne pense ; fantaisie ardente, passionnée, qui ne ressemble pas mal à une espèce de culte.

L'ouvrage est accueilli froidement par certains auteurs. Balzac ne peut concevoir le génie d'une œuvre qui n'est pas de lui : " Deux belles scènes, trois mots, le tout invraisemblable, deux descriptions, la belle et la bête, et un déluge de mauvais goût " ! Pour sa part, Lamartine est conquis et écrit à Hugo le 1 er juillet 1831 :

C'est le Shakespeare du roman, c'est l'épopée du Moyen-Âge, c'est je ne sais quoi ; mais grand, fort, profond, immense, ténébreux comme l'édifice dont vous en avez fait le symbole.

" Le chapitre intitulé Notre-Dame est le meilleur de son livre "

Vaisseau de pierre immuable quand tout bouge et se transforme, personnage à part entière du roman, silhouette impassible qui veille comme une sentinelle sur la capitale... Notre-Dame de Paris est une figure incontournable et presque obsédante de l'intrigue. s'extasie : " Quant à l'église Notre-Dame, M. Hugo la connaît, l'aime, la décrit comme une amante ; le chapitre intitulé Notre-Dame est le meilleur de son livre. "

Hugo met son style alerte et sa richesse de langage au service d'éblouissantes descriptions qui font renaître la cathédrale, palpitante de vie :

Il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales [...], la haute et frêle galerie d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique [...] ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple [...], sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.

Le sursaut national

En ce milieu du XIX ème siècle, la cathédrale Notre-Dame est en piteux état. Pillée puis laissée à l'abandon depuis la Révolution, utilisée mais non restaurée sous l'Empire, elle menace ruine. Les parisiens ont pris l'habitude de passer devant cet édifice à moitié effondré sans s'émouvoir et presque sans y prêter attention. L'auteur de génie qu'est Victor Hugo se montre sensible à l'état d'abandon dans lequel se trouve la cathédrale :

Il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s'indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument.

Son roman remet l'édifice sous le feu des projecteurs et suscite un engouement immédiat de la part du public. La période du Moyen-Âge et l'architecture gothique, tenues pour périmées depuis le XVIII ème siècle, enflamment l'imaginaire des lecteurs et révolutionnent le goût. La cathédrale, à nouveau, fascine. Ce regain d'intérêt s'accompagne d'une prise de conscience de la nécessité de sauvegarder ce monument en péril au cœur de Paris. L'objectif de Victor Hugo, qui souhaitait redonner du sens au lieu, est atteint : son roman est le meilleur plaidoyer en faveur de sa restauration !

Cet écrit qui reste un chef-d'œuvre de la littérature française du XIXème siècle est donc aussi l'un des premiers gros succès en faveur de la sauvegarde du patrimoine.

Tandis que la campagne de restauration est confiée à l'architecte Viollet-le-Duc dans les années 1840, le succès du roman de Victor Hugo va grandissant. Frollo, Esmeralda et Quasimodo sont aujourd'hui des légendes et l'ouvrage a fait l'objet de multiples traductions et adaptations : pièces de théâtre, opéras, ballets, films et bandes dessinées, etc. (l'œuvre connaît d'ailleurs un regain d'intérêt depuis le terrible incendie du 15 avril dernier...) Quant à l'écrivain, il ne cessera jamais de se battre pour la préservation des édifices !

Sources

♦ Victor Hugo de Sandrine Fillipetti

♦ Victor Hugo d'Alain Decaux

♦ La presse de l'époque ( Le Figaro et le Journal des débats politiques et littéraires)

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