Analyse comparée des stratégies française et chinoise en matière de formation en Afrique

Publié le 25 avril 2019 par Infoguerre

De toutes les régions, l’Afrique subsaharienne a les taux d’exclusion scolaire les plus élevés. Plus d’un cinquième des enfants âgés d’environ 6 à 11 ans ne sont pas scolarisés, suivis d’un tiers des jeunes âgés d’environ 12 à 14 ans. Selon les données de l’ISU, près de 60 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans ne sont pas scolarisés[1].

L’éducation en Afrique : un enjeu économique à l’aube de l’explosion démographique

Restriction budgétaire ou considération moindre pour la question de l’éducation [2]? De nombreuses administrations scolaires sur le sol africain ont récemment peiné à délivrer les bourse d’étude, accumulant parfois plus d’un an de retard, quand elles ne sont pas purement et simplement annulées et allouées au renouvellement des infrastructures comme ce fut le cas au Tchad en 2018[3]. En parallèle, les statistiques de l’emploi des jeunes formés au sein des universités africaines semblent dénoncer la qualité de l’enseignement[4], restreignant encore l’engouement des jeunes générations pour les cursus les plus exigeants. Enjeu démographique imminent, les projections de l’ONU prévoient un accroissement de la population estimée à plus d’un milliard de personnes d’ici 2030, principalement en Afrique et pour une large part, en Afrique francophone. Avec 432 589 étudiants en mobilité internationale diplômante en 2015, contre 373 000 en 2013[5] (+16 %), l’Afrique représente 10% des étudiants internationaux à travers le globe, avec un taux de mobilité deux fois plus élevé que la moyenne mondiale. Forte de sa proximité culturelle, géographique et linguistique, la France reste la destination visée par excellence. Mais pour combien de temps ?

L’approche française : Participer à la structuration du système éducatif avant tout

Suite à la décennie 1990, l’aide financière a été conditionnée à la mise en place de la démocratie et la lutte contre le terrorisme, ainsi que le contrôle de l’immigration. Ancienne puissance colonisatrice, la France et les objectifs de ses actions en Afrique ont été décrié et dénoncé comme du néo-colonialisme. Pour rassurer la communauté locale et internationale, la France inscrit son action depuis le début des années 2000 en soutient aux populations en Afrique. Il reste cependant que la France est souvent appelée en tant que médiateur politique, notamment par la RCA de M. Bozizé et la demande d’intervention française de M. Diacounda Traoré, président intérimaire du Mali ou encore en Côte d’Ivoire suite aux tensions post-électorales en 2010[6]. Toujours est-il que l’ajustement libéral de l’Afrique suit son cours et que ces interventions permettent à la France de conserver son rayonnement mondial à travers son rôle de proche collaborateur des Etats Africains. Grâce à l´implantation de ses entreprises phares des industries clé (téléphonie, construction et infrastructures, de l’agroalimentaire mais aussi distribution d’eau et d’électricité) sur le continent africain, l’emprunte économique de la France en Afrique reste très présente et lui permet de conserver son leadership économique en Afrique.

S’appuyant sur son réseau diplomatique et sur les 20% d’IDE (Investissement Direct à l’Etranger) en Afrique, la France reste un partenaire économique de choix pour les pays Africains, à tel point que des pays anglophones comme le Nigéria font du français la seconde langue officielle et qu’une grande majorité de l’élite intellectuelle, politique voire militaire est formée dans les Grandes Écoles Françaises. Comme statué par le ministère des affaires étrangères et du développement international dans son rapport de stratégie[7] : « La résilience des sociétés repose sur un corps social éduqué, intégré, adhérant à un projet collectif. L’éducation et la formation participent, sur tous les territoires, à la nécessité d’ouverture à l’autre, au développement d’une citoyenneté mondiale et à la compréhension du monde global contemporain. » Dans une compétition internationale, la stratégie d’accompagnement mise en place par la France, bien que perçue comme un objectif historiquement privilégié, doit se confronter à de multiples concurrents.

En Occident par exemple, Les États-Unis et les autres états membres de l’UE cherchent à recruter les étudiants africains (la Roumanie par exemple a lancé un programme de spécialisation en médecine, et offre un cadre d´étude à un cout raisonnable).

Au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis octroient des bourses d’études islamiques pour les étudiants musulmans. La Turquie quant à elle représente 12% de la mobilité des étudiants d’Afrique subsaharienne, et son rayonnement s´étend grâce au développement de ses instituts Yunus Emre (4 en Afrique, dont 2 au Maghreb).

Pendant que la population des étudiants africains mobiles progresse de 320 000 à 420 000 personnes entre 2004 et 2014, la part des étudiants africains en France chute de 40 à 23%[8]. À titre d’exemple, le Cameroun a vu sa population estudiantine en mobilité internationale augmenter de 17% entre 2009 et 2015, la part de la France diminuant dans le même temps de 3,3% au profit de l’Allemagne. Malgré cela, la France reste le principal hub de formation pour les étudiants du Maghreb, du Sénégal, de la Guinée, du Gabon et de Madagascar.

Membre influent de la communauté internationale, la France a contribué à définir les 17 objectifs de l’ODD (objectifs de développement durable) et investit 1,3 milliard d’euros pour l’éducation en Afrique sur la période 2017-2021[9]. Dans cette perspective, elle reporte sur la scène internationale ses aspirations internes en termes d’éducation, de formation et d’insertion dans la vie active. En concertation avec de multiples acteurs (la Direction Générale de la Mondialisation DGM, Ministère des Affaires Étrangères et du Développement International MAEDI, l’Agence française de développement AFD, l’Education Nationale et d’autres acteurs de la société civile) et conscient de l’importance de l’enseignement du français comme langue de travail, l’état supporte de nombreux projets bilatéraux, au premier rang desquels :

  • l’ELAN-Afrique, actif en Afrique subsaharienne francophone, qui promulgue un enseignement bilingue, en français et en langue locale, afin de faciliter l´enseignement à tous, en particulier en zone rurale.
  • La France cherche à introduire progressivement l’enseignement bilingue du français en parallèle d’une langue africaine pour contrecarrer l’échec scolaire, en particulier en zone rurale.
  • Le pôle de Dakar, qui a pour mandat de renforcer la capacité des États membres à planifier et gérer leurs systèmes éducatifs.
  • Le programme PASEC de la Confemen, dont la compétence principale s’articule autour de l’analyse et l’évaluation des systèmes éducatifs francophones.

Outre ces considérations structurelles, la France prend part sur de nombreux fronts via sa contribution à la création du partenariat mondial pour l’éducation et par son statut de 2eme contributeur au fond européen de développement de l’Union Européenne, dont l’éducation et la formation sont les points d’attention principaux restant ainsi, malgré une baisse constante de son attractivité, le pays de référence pour les étudiants Africains.

Quand la Chine se positionne en pays en développement pour devenir leader

A l’opposé de cette approche axée sur l’accompagnement et le développement de la structure éducative, la Chine semble aborder la question sous un angle beaucoup plus pragmatique. Vœux fréquemment renouvelés dans les discours politiques (le dernier en date étant le Forum de Coopération sino-africaine), les dirigeants chinois cherchent à rassurer l’Afrique sur ses intentions en la mettant sur un même pied d’égalité : n’ont-elles pas toutes deux un passé commun, marqué par la domination de l’Occident ? Consciente de l’importance de l’Afrique pour la sécurisation des ressources (pétrole, minerais, bois, coton, terres rares) et la pérennité de son hégémonie dans la zone Asiatique face à Taiwan, la Chine s’est récemment attachée à devenir le premier partenaire commercial de l’Afrique.

Alors que les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ne représentaient que 3 Milliards de dollars en 1995, ce chiffre a atteint un pic sans précédent en 2014, atteignant 200 Milliards avant de retomber à 143 Milliards de dollars en 2017. Cependant la balance reste tout à fait déséquilibrée : l’Afrique représente 3% des échanges de la RPC avec l’extérieur (essentiellement du pétrole) et 2% des échanges mondiaux, alors que la Chine représente elle 15,4% des échanges de l’Afrique avec l’extérieur du continent[10].

Sur un plan économique, la Chine aborde l’Afrique via deux leviers étroitement liés : la sécurisation de l’accès aux matières premières et le retour sur investissement des prêts accordés. Les bailleurs de fond occidentaux se faisant rare en Afrique et les besoins impérieux, ils laissent toute latitude à la Chine de mettre en place ses financements « liés », lui permettant d’importer sa main d’œuvre et de gagner peu à peu des parts dans les concessions (ports du collier de perles) , voire de recouvrir les dettes des pays les plus en difficultés contre des ressources sur le modèle du troc. Peu regardante sur la situation politique, la Chine peut, grâce à ces prêts « tout en un », importer son expertise technique et sa main d’œuvre (au risque parfois d’entrer en conflit avec la micro-économie locale), et augmenter la dépendance de certains pays à son égard sur ce modèle. Il reste cependant un terrain à conquérir : le cœur des Africains.

Outre le déploiement local de chaînes de télévision, de radio ou la production de films, la Chine mise  sur ses Instituts Confucius pour amener l’apprentissage du mandarin au plus près des populations. Avec un premier établissement ouvert en 2005 au Kenya, ce sont maintenant plus de 21 Instituts et 5 établissements qui fleurissent dans 19 pays à travers l’Afrique afin de promouvoir la langue et la culture.

Rapide retour sur 70 ans de déploiement d’une stratégie culturelle

Peu de temps après la proclamation de la République Populaire de Chine en 1949, 24 étudiants (Camerounais, Kenyans, Ugandais et Malawites) arrivent pour la première fois en Chine pendant que trois enseignants chinois rejoignent le continent Africain. En 1956, ce sont 4 étudiants Egyptiens qui iront étudier l’agriculture, les arts et la philosophie en Chine, au travers d’un accord culturel. À la fin des années 70, la Chine a établi des relations diplomatiques avec 25 pays africains, et on voit 648 étudiants Africains croiser 115 enseignants chinois lors de leur départ pour la Chine.

La décennie 1980 marque un second tournant dans la coopération culturel : plus de 2200 étudiants africains sont envoyés en Chine, provenant de plus de 43 nations. Dans le même temps, la Chine augmente sa participation en dons de matériel et d’équipements pour les classes. S’en suit, dans les années 1990, différentes collaborations inter-université jusqu’à la fondation en 1998 de la Coopération sino-africaine pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique. Les missions confiées aux enseignants chinois se précisent : aider les établissements locaux à établir des matières principales d’avenir. Ainsi, la Chine peut importer ses concepts mathématiques et en physique fondamentale, mais aussi sa conception de l’ingénierie, de l’agriculture et de l’agro-alimentaire[11]. Sans surprise, la politique et les préceptes de la modernisation ont rapidement suivis, en parallèle d’une nouvelle tâche : l’identification des hauts potentiels, l’objectif étant de les former en Chine et d’assurer une continuité du développement dès leur retour – l’objectif assumé par le gouvernement chinois via un plan triennal par l’attribution en 2012 de 18 000 bourses et la formation de 30 000 Africains.

Dernier échelon enfin, la Chine renforce sa présence au côté de l’Afrique par la tenue de conférences ministérielles entre 2000 et 2010, qui succéderont officiellement au Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC) dès 2005. Au cours de la conférence ministérielle en 2009 de Sharm-El-Sheik, la Chine s’engage à consolider son initiative en Afrique, à travers deux articles parfaitement explicites[12] :

  • 15.1.1 Accorder davantage de bourses d’études à des étudiants africains pour étudier en Chine, continuer à envoyer des enseignants en Afrique pour aider les établissements d’enseignement supérieur locaux à améliorer leurs disciplines et spécialités, et établir des voies de communication entre les universités des deux parties pour l’étude des civilisations chinoise et africaine ; et
  • 15.1.2 Créer un Fonds africain de développement des ressources humaines et augmenter progressivement la contribution financière au Fonds pour la formation de professionnels de différentes disciplines dans les pays africains.

Limitée à une poignée de personnes en 2000, la Chine accueille aujourd’hui plus de 6000 étudiants africains sur son sol tous les ans, l’objectif annoncé au cours de la dernière conférence étant de porter à 50 000 le nombre de bourses et d’opportunité de formation pour la population Africaine en 2019 et 2020. Ces engagements permettent à la Chine de mettre en place la création d’un partenariat de grande ampleur à travers le « Projet de coopération de 20+20 Universités sino-africaine ». Pour le moment majoritairement anglophone, seules les universités Yaoundé 1 au Cameroun et celle de Tunis en Tunisie seront choisies pour représenter la francophonie. La diversité des sujets d’apprentissage montre clairement l’attention de l’Afrique et sa réceptivité à la grille de lecture de la modernisation selon la Chine. Satisfaite de l’offre grandissante et de l’intérêt en permanence renouvelé par la République Populaire pour son développement, l’Afrique octroie à la Chine une image de puissance respectable et lui apporte son soutien sur la scène internationale, les relations économiques et culturelles étant une mise en pratique des relations diplomatiques établies et non l’inverse. Devant le regard critique de plus en plus important de la communauté internationale quant à la dépendance financière des états Africains à la Chine, il apparaît clairement que la tactique de cette dernière devra se baser sur des liens culturels forts, notamment grâce à la diffusion des compétences et de la vision chinoise dans différentes strates de la société, par la formation massive d’une population en plein essor démographique. Preuve s’il en faut de l’efficacité de la manœuvre : 51 Chefs d’États africains ont pris part au Forum sur la coopération sino-africaine en septembre 2018, contre 27 à New York au dernier sommet des Nations Unis.

Maxime Ghiduci

[1] http://uis.unesco.org/fr/topic/education-en-afrique

[2] Orivel, 1991 ; Niane, 1992 ; Faye & Naugman, 1991 ; Mazzochetti, 2009,
cités par Sylvie Bredeloup, « Pluralité des parcours des étudiants ouest-africains en Chine », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs [En ligne], 13 | 2014, mis en ligne le 02 juin 2014, consulté le 13 avril 2019. http://journals.openedition.org/cres/2631

[3] https://www.jeuneafrique.com/360891/societe/tchad-a-ndjamena-etudiants-se-mobilisent-leurs-bourses-detudes/

[4] Information recoupée à partir des rapports disponibles sur http://datatopics.worldbank.org/sdi/

[5] « Mobilité des étudiants africains: l’attractivité française en recul »,
Tirthankar Chanda sur RFI Afrique le 07/11/2017
http://www.rfi.fr/afrique/20161107-etudiants-africains-france-mobilite-attractivite-etudes-superieures-maghreb

[6] « Les intérêts stratégiques de la France en Afrique »
Arthur Banga, sous la direction de l’IRSEM, le 14/02/2013.

https://www.defense.gouv.fr/english/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/les-lettres-de-l-irsem-2012-2013/2013-lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-n-1-2013/dossier-strategique/les-interets-strategiques-de-la-france-en-afrique

[7] Rapport de Stratégie « L’action extérieure de la France pour l’éducation, la formation professionnelle et l’insertion dans les pays en développement 2017-2021»,
Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international.

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/photos-videos-publications-infographies/publications/enjeux-planetaires-cooperation-internationale/fiches-reperes/2017/article/strategie-francaise-2017-2021-pour-l-education-la-formation-professionnelle-et

[8] Campus France, Hors Série n°16 Novembre 2017 ISSN 2117-8348

« LA MOBILITÉ INTERNATIONALE DES ÉTUDIANTS AFRICAINS » Nov.2017.

https://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect/mobilite_continent/fr/note_16_hs_fr.pdf

[9] Rapport de Stratégie  « L’action extérieure de la France pour l’éducation, la formation professionnelle et l’insertion dans les pays en développement 2017-2021»,

Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international (idem 5).

[10] Statistiques MOFTEC (Ministry of Foreign Trade and Economic Cooperation) ; BBC News, 6 janvier 2006. Cité dans « La stratégie africaine de la Chine », Valérie Niquet-Cabestan, Politique étrangère 2006/2 (Été), pages 361 à 374 https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-2-page-361.htm

[11] Document UNESCO, “Report on the development of China-Africa Educational Cooperation”.

http://www.unesco.org/education/report.pdf

[12] Programme for China-Africa Cooperation in Economic and Social Development 2009/09/25.

https://www.mfa.gov.cn/zflt/eng/ltda/dyjbzjhy/DOC12009/t606797.htm

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