À mon dernier anniversaire, l'amoureuse m'a offert une montre Adidas Fitbit. Le type de montre qui te montre le calibre de ton pouls en temps réel, qui te présente l'heure bien entendu, qui calcule tes étapes de sommeil (donc tu couches la montre au bras) qui calcule tes pas, tes temps de jogging, etc. Ce type de chose. Elle te propose même des exercices de respiration.
Je l'aime beaucoup. Mais comme le téléphone intelligent, cette montre "intelligente" fonctionne à batterie et il faut, après quelques temps, la recharger.
La semaine dernière m'a été parfaitement folle.
Lundi, j'ai travaillé 10 heures, mais fait 227 kilomètres.
Mardi, 12h00, 254 kilomètres.
Mercredi 12h30, 201 kilomètres.
Jeudi, 12h00, 233 kilomètres.
L'amoureuse et moi n'avions pas pris le temps de communiquer adéquatement sur l'horaire du week-end de Pâques que nous allions passer à Québec. D'autant plus que dans cet horaire de fou, une offre nous était présentée sur notre maison à vendre, un inspecteur venait inspecter, on essayait une dernière fois de nous faire baisser notre prix, ce qu'on a refusé de faire, et on concluait mercredi soir. Nous avions la tête à bien d'autres choses.
Vendredi, je croyais avoir ma journée jusqu'à 16h30 pour faire tout ce que je veux:
-Regarder le premier épisode de Games Of Thrones dernière saison.
-Regarder les deux derniers épisodes de L'Amour est dans le Pré.
-Lire À Toi Pour Toujours, Ta Marie-Lou de Michel Tremblay que je pense n'avoir jamais lu.
-Peut-être aussi regarder un film.
-Vivre.
Mais non, l'amoureuse avait pris congé et on partait plutôt vers midi pour Québec. Ce qui ne me pressait pas tant. Je savais que j'aurais trois fois, peut-être 4, la conversation obligatoire sur la maison vendue et celle achetée, à venir. Et je ne voulais pas briser le mood de personne avec mon désenchantement de la chose.
Il est maintenant évident que j'ai besoin de temps. Et devant moi, branché à l'ordi, ma montre.
Ma montre qui chargeait. Ça m'a fait rire. C'était encore une parfaite métaphore de ma vie actuelle. Je chargeais du temps,
Nous sommes bien partis vendredi. 4 heures de route. Ce qui restait inhabituel. D'habitude ça nous prend entre deux heures et deux heures et demi. 273 kilomètres de plus. Ce qui n'était PLUS inhabituel après la semaine que je venais de faire. Mais tout aussi crevant. J'étais profondément zombie une fois à Québec. J'ai même eu peur d'être sans conversation, surtout au troisième rendez-vous familial, chez ma mère, le dimanche, après un vendredi chez la belle-mère, un samedi chez le beau-père, une soirée entre amis et ce dimanche avec mes deux soeurs, leurs enfants et ma maman, encore une fois, plus crevé que le mot ne le laisse entendre.
Là je réalisais que mon corps me demandait de lever le pied. Vraiment. De prendre le temps de télécharger le dernier album de Beirut donc mes amis m'apprenaient la sortie, la veille. Pendant que je les initiait plus ou moins* aux saveurs de la formation Metric, que je leur avouais aimer beaucoup plus que je ne l'aurais jamais cru.
Comme prévu, on a parlé des maisons. Au début, j'ai plus ou moins esquivé en me cachant au sous-sol et dans les toilettes chez le beau-père, pour aussi y lire le livre de Tremblay que j'avais trainé dans mes bagages. Pour voler du temps. Et Tremblay m'a sorti du temps réel. Pour me faire jouer dans un univers sombre, mais formidable aussi. Un autre espace. Je ne l'avais effectivement jamais lu. Et une pièce de théâtre, ça se lit vraiment tout seul. Dans cet horaire de week-end pascal, j'ai eu le temps de la commencer et de la finir. J'achetais du temps un peu partout puisque qu'il me manquait aussi partout. Pour vivre.
Parce que parler des maisons, pour moi, c'était un peu mourir. Et on l'a fait partout. Comme anticipé. Et c'était tout à fait normal de leur part de féliciter et de me prêter des excitations qui n'étaient pas miennes. Mes soeurs faisaient exprès pour me narguer car elles savaient que je n'étais pas enthousiaste sur la nouvelle maison.
Le beau-père tournait aussi le fer dans la plaie en disant constamment des choses comme: "OOH! c'est fou ce que vous aurez du travail à faire cet été!"**
Ce à quoi je ne réagissais pas. Prenant le temps de changer de pièce pour ne pas cracher de venin.
Le temps, ça ne devrait être géré que d'une seule façon:
Le temps, ça se prend. Tout simplement.
C'est une chose qu'on apprend en vieillissant. Et que je chéris formidablement, maintenant.
Et je l'ai pris. En lisant Tremblay en sourdine. Noyant la déprime. Téléchargeant Beirut. Écoutant aussi Metric quand je le pouvais. Complétant finalement tout ce que j'avais prévu le vendredi, dimanche en commençant vers 17h30. Fatigue, pas fatigue. Puisqu'aujourd'hui: congé Pascal. Où je vivrai. Revisitant avec mes enfants Earth pour le jour de la terre.
Ce qui inclura aussi ironiquement le début de la lecture d'un livre de Fanny Britt, une intervenante de la radio que j'ai appris à aimer beaucoup, un livre qui s'appelle...Les Maisons...
Avec le but avoué de faire la paix, une fois pour toute avec tout ça.
Il le faudra prochainement.
L'amoureuse, avant de revenir vers Montréal, disait à Punkee, notre fille, "sors ton livre de ton sac qu'on met dans le coffre, tu pourras l'avancer, on a deux heures trente au moins à tuer."
J'ai éclaté de rire à nouveau.
Il ne faudra jamais plus tuer le temps.
Ce serait le plus grand des crimes.
*Certains connaissaient bien Metric, déjà.
**Non.