Le navire de Thésée, exposition de Raphaël Fabre au Cac La Traverse d'Alfortville (94)

Publié le 21 avril 2019 par Onarretetout

« Le navire à trente rames sur lequel Thésée s’était embarqué avec les jeunes enfants, et qui le ramena heureusement à Athènes, fut conservé par les Athéniens jusqu’au temps de Démétrius de Phalère. Ils en ôtaient les pièces de bois, à mesure qu’elles vieillissaient, et ils les remplaçaient par des pièces neuves, solidement enchâssées. Aussi les philosophes, dans leurs disputes sur la nature des choses qui s’augmentent, citent-ils ce navire comme un exemple de doute, et soutiennent-ils, les uns qu’il reste le même, les autres qu’il ne reste pas le même. »

— Plutarque, Vies des hommes illustres

C’est à partir de cette question que Raphaël Fabre propose cette exposition. Le Centre d’art contemporain La Traverse est transformé : on y entre comme dans le couloir d’un cargo puis, sur la gauche, on fait une soudaine irruption dans l’histoire, dans l'histoire de l’art, et dans sa falsification. Pénétrer sur le Radeau de la Méduse, est-ce prendre part au naufrage ou n’est-ce qu’une illusion, comme l’est cet autre naufrage, Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée, initialement peint par Rembrandt, et volé en 1990, dont on n’a plus que des faux. Fausse aussi, la photo sur la carte d’identité accrochée au mur. Faux le Bureau ovale de la Maison Blanche où un faux président met un genou à terre. Fausses les images par centaines du socle déserté de la Statue de la Liberté diffusées sur Google Street en 2018…

Mais au-delà de cette question du faux en art, voire de ce qu’il est convenu aujourd’hui de nommer infox, il s’agit d’abord d’interroger les images elles-mêmes. Elles sont aussi bien dans l’intention de l’artiste (quand il s’agit d’oeuvre d’art) que dans le regard de celle ou celui qui les voit. Cette interaction est essentielle. C’est pourquoi, par exemple, je ne vois pas Le Radeau de la Méduse comme a pu le voir un contemporain de Géricault. Mais encore, à travers la restauration permanente du bateau de Thésée, à travers la restauration des oeuvres d’art, peintures, sculptures, architectures, ne faisons-nous que maintenir dans notre présent une image révolue du passé, déclaré Trésor national ? Un trésor, aujourd’hui virtuel, comme un bitcoin, au fond d’une malle dans une salle dont une paroi est déjà percée. L’avenir y fait effraction.