Poème bédouin

Par Chatperlipopette


Dhou'l-Roummah (mort en 117- de l'Hégire - / 735 (de notre ère chrétienne)

"Dernier poète bédouin, il participa quelque peu à la guerre des rimes entre Djarîr et Al-Farazdaq, sous les premiers califes omayyades. Ses poèmes sont une source de premier ordre pour les lexicographes arabes: de lui date la fixation de la langue. Ses compositions sont ardues et savantes, amis il arrive parfois à une beauté formelle incomparable."

Connais-tu cet endroit unique, désert ravagé,

que le temps a voulu effacer pour l'éternité?

Le siècle dure use sans fin la nouveauté du neuf;

il abandonne, à chaque étape, un reste de foyer.

Trois pierres noires, là...c'est tout...un lieu de campement...

mais l'hippodrome d'Al-Walid a sombré tout entier,

sauf quelques piquets de tente enfoncés au ras du sol;

tout a disparu, éparpillé par les accès brusques de fièvre.

ô Mayya! Tes lèvres par un orfèvre ciselées,

après le sommeil, et ton corps, tendre rameau brisé!

Je revois les deux prunelles, un cou gracile et blanc;

je revois les flancs alanguis où affleure le sang,

uniques, affolant la poursuite au mépris des gazelles...

nous tuant sans pitié sous le blâme et la réprimande.

Elle a vu ma pâleur, elle a vu mes rides multiples,

après les injures du temps et du siècle superbe,

dépouillant tout mon corps de sa frondaison de jeunesse;

feuilles mortes, quand on agite un rameau nu, qui tombent...

ou plutôt j'ai rompu l'étreinte, acceptant le refus,

et la soeur des Banou-Labîd en a été surprise.

Tant, qu'elle m'a fui et qu'elle a fui mon frère Mas'oud.

Elle vit deux hommes prêts pour un voyage lointain,

qui prenaient pour vêtements les ténèbres de la nuit,

traînant loin sur le sable deux longues robes ouatées...