Pierre Salvadori, le prix de la comédie – L’excellence très bon marché

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Exprimer l’essentiel en toute simplicité, voilà bien un talent dont peu peuvent se targuer. Une qualité d’autant plus sous-estimée qu’elle conduit bien souvent à une certaine incompréhension. De la part du public, oui, mais aussi parfois de la part de la critique. « Scénario basique », « il ne se passe grand-chose », autant de reproches pouvant être adressés à des œuvres dont la grande force reste précisément de faire passer leur(s) message(s) d’abord et avant tout par la mise en scène. Où les dialogues sont moins une finalité qu’un rehaussement de saveurs déjà sublimées par l’œil du cinéaste. Où le découpage, la captation des événements en arrière-plan, la maîtrise du hors-champs sont autant de composantes faisant toute la valeur d’un film aux thématiques, de prime abord seulement, perçues comme convenues, pauvres car soi-disant trop évidentes. Le vernis est à gratter, mais la barrière du genre, par snobisme ou manque de curiosité, peut hélas bloquer dès l’entrée. On pense bien sûr à des superproductions comme Mad Max : Fury Road, Avatar, ou Gravity, ayant toutes été raillées pour leur apparent simplisme. Mais l’on pense également à un genre en particulier, plus exposé encore que les autres à la vindicte du bon goût : la comédie. Leur popularité jamais démentie ne change rien à l’affaire, les comédies souffrent encore d’un déficit flagrant de considération de la part des institutions. Pourtant, les exemples de grands films comiques ne manquent pas, et émaillent sans discontinuer l’histoire du Cinéma. Reste que le succès populaire tend à amoindrir aux yeux de beaucoup la richesse et la complexité d’une œuvre, quels que soient ses trésors ou trouvailles visuelles.

Fort heureusement, quelques hérauts ne s’en laissent pas compter, et continuent de défendre une certaine idée de la comédie exigeante, tant par ses sujets que ses idées, narratives ou plastiques. Chez nos contemporains, citons notamment Adam McKay, les frères Farrelly, évidemment Woody Allen ou encore Judd Apatow aux États-Unis. Quant à la France, comment ne pas évoquer Michel Hazanavicius, Bertrand Blier, Quentin Dupieux, ou encore Pierre Salvadori, fer de lance de la comédie sophistiquée à la française, auquel les éditions Playlist Society consacrent fort justement le dernier ouvrage de leur collection Face B ? L’occasion de se plonger dans les détails d’une filmographie et d’un univers créatif à la fois accessibles, cohérents, et exigeants, tout en analysant les mécanismes de l’humour, ainsi que l’importance sociale qu’il revêt.

Car outre les fondements du travail de Pierre Salvadori, couverts de manière exhaustive par l’analyse signée Nicolas Tellop, et l’entrevue du cinéaste menée par Quentin Mével et Dominique Toulat, ce sont bien les ressorts comiques et leur apport fondamental dans l’art cinéma qui sont décortiqués en toile de fond de ce prix de la comédie. D’anecdotes en précisions techniques, Salvadori explicite la complexité de faire naître le rire par l’intrication savamment dosée du verbe, du jeu des comédien(ne)s, et de la symbolique subtilement apportée par la composition des images. Ce qu’il appelle d’ailleurs lui-même « les images expressives », pléonasme à dessein, en faux-semblants et à plusieurs niveaux. Du plus anodin (un simple objet du quotidien) au plus évocateur (par exemple, l’utilisation des portes dans Dans la cour), Pierre Salvadori construit ainsi des univers certes familiers, pleinement ancrés dans le réel, mais dont le réalisme et la poésie prennent véritablement corps et leur pleine mesure par l’agrégation harmonieuse de petits riens. « Le diable est dans les détails », et pour ce perfectionniste du vrai qu’est le réalisateur d’En liberté!, la réussite de ses films est à ce prix. Exigeant mais pétri de doutes, à l’écoute (de ses actrices, de ses acteurs, plus globalement de ses collaborateurs), capable par ailleurs d’auto-critique, Pierre Salvadori fait de ses films la traduction de questionnements personnels, parfois intimes, tout en n’oubliant jamais la valeur du travail collaboratif. Moins cinéaste de vocation que réalisateur ayant bâti sa pratique par le jeu patient de la construction, Salvadori applique cette logique de structuration à l’ensemble de son oeuvre – au sein de laquelle chaque création répond à un besoin (d’apprendre, d’expérimenter, ou de voir son travail légitimé) -, mais aussi à même la conception de chaque film, où le besoin de contrôle et la préparation minutieuse sont finalement le cadre nécessaire à l’épanouissement de sa créativité, et à l’émergence de l’inopiné.

Pierre Salvadori, le prix de la comédie offre ainsi une porte d’entrée richement étayée vers un univers parcouru de part en part de sentiments contraires, et permet ainsi de savourer les anecdotes de tournages, les détails de pré-production, mais aussi les confidences quant à la part laissée au hasard, aux aléas merveilleux, ainsi qu’à l’improvisation. En somme, la part primordiale du travail – trop souvent éludée – nécessaire à l’efficacité de l’humour, mais aussi le soupçon d’âme conféré par l’inattendu, renforcé par l’imprévu. Surtout, l’emphase mise sur la dimension humaine, presque sentimentale, de la démarche de Salvadori. Car chez ce dernier comme chez les plus grands, le rire est à l’évidence moins une fin qu’un moyen. Pour sensibiliser les masses à des sujets graves, du moins à l’ironie sensible (la mythomanie dans …Comme elle respire par exemple). Pour en alléger la dureté, sans pour autant en désamorcer la portée. Mieux : pour faire de l’absurde ou du burlesque élégant le pont entre grand public et spectateurs plus exigeants, et réconcilier par là même divertissements et récits à plusieurs niveaux de lectures socialement éloquents.Une approche qu’Ernst Lubitsch n’aurait à l’évidence pas reniée : la lecture de cet ouvrage permet de mesurer à quel point Salvadori en est, en effet, l’un des plus brillants héritiers.

Et ce prix de la comédie d’apparaitre, in fine, comme un bien maigre tarif à payer pour en apprécier toute la valeur, la pertinence, et la portée.

Pierre Salvadori (source : https://www.lesinrocks.com/2018/10/23/cinema/cinema/pierre-salvadori-sur-chaque-film-il-faut-resister/)