Les coulisses de la libération d'Ingrid Betancourt : une opération militaire arrangée
Depuis 48 heures, toutes les chaînes de télévision sont mobilisées pour suivre "en direct" la libération d'Ingrid Betancourt. Toute la presse salue l'incroyable scénario de sa libération : infiltrations de la direction des FARC, intervention sans le moindre coût de feu, libération surprise dans le plus grand secret. Sauf qu'une partie de la presse colombienne vient contredire la version officielle de sa libération. Mediapart est le seul média français à s'en faire l'écho. Comment Ingrid Betancourt a-t-elle vraiment été libérée ?
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La version officielle : infiltrations, camouflage, opération secrète
Selon la version officielle du gouvernement colombien, reprise par tous les médias français, l'opération a été préparée depuis plusieurs mois. Les services secrets colombiens auraient réussi à infiltrer au plus haut niveau la direction des FARC. Ils auraient ainsi convaincu la direction des FARC de réunir les 15 otages politiques sous l'autorité du nouveau chef Alfonso Cano, qui a pris la direction des FARC récemment suite au décès du chef historique, Manuel Marulanda. Ce regroupement devait être le préalable à des négociations politiques. C'est au cours de ce transfert que les autorités colombiennes sont donc intervenues. Dans un hélicoptère blanc, appartenant en réalité à l'armée, des soldats colombiens se sont faits pour une association humanitaire chargée de transférer les otages vers le camp du chef des FARC. Le chef du camp d'Ingrid Betancourt devait accompagner les otages. Mais aussitôt entré dans l'appareil, celui-ci a été maîtrisé et les otages ont été libérés. Aucun coup de feu n'a été libéré. "Opération impeccable, parfaite" comme l'a souligné elle-même Ingrid Betancourt.
L'opération militaire secrète ne serait en fait qu'une simple reddition d'un groupe des FARC
En réalité, selon Mediapart, qui a recoupé les informations auprès de journalistes de Radio Caracol, la radio qui diffuse tous les jours des messages à l'intention des otages, de l'agence de presse Anncol, réputé proche des FARC, l'opération serait le résultat de négociations entre le gouvernement et le groupe des FARC qui détenait Ingrid Betancourt et les 14 autres otages politiques. Fatigués de leur vie clandestine et orphelins de leur direction (en deux mois, les FARC ont perdu leur numéro 1 et numéro 2), ils auraient accepté de rendre leurs otages en échange d'argent (la Radio Suisse parle de 20 millions de dollars, payés par les Etats-Unis) et d'une immunité pour leur éviter la prison. Le déroulement de l'opération apparaît alors sensiblement différent de la version officielle. La libération des otages s'est déroulée en 2 étapes.
En mars, le gouvernement colombien localise les otages
Le 1er mars 2008, Paul Reyes, le numéro 2 des FARC, est abattu en
Equateur par l'armée colombienne (certaines sources affirment qu'il
s'agissait en fait d'appareils américains). L'objectif était clair :
stopper les négociations qui allaient aboutir à la libération d'Ingrid
Betancourt deux semaines plus tard. Pour le président colombien, Alvaro
Uribe, ces négociations qui se déroulaient sans les autorités
colombiennes, étaient inacceptables et remettaient en cause la
souveraineté de la Colombie, incapable d’obtenir la libération des
otages. Depuis son élection en 2002, Alvaro Uribe est sur une position
de fermeté vis-à-vis des FARC. L'élimination du numéro 2 s'inscrit donc
dans cette logique guerrière et dans le rapport de force qui s’est
instauré entre les autorités colombiennes et les FARC.
Mais la saisie de l'ordinateur portable de Paul Reyes va permettre de
faire une découverte inattendue : grâce à plusieurs documents contenus
dans le PC, les autorités colombiennes vont rapidement identifier les
ravisseurs qui détiennent Ingrid Betancourt et localiser les otages au
Sud de la Colombie, dans le département amazonien du Guaviare.
Des négociations directes avec le groupe qui détenait Betancourt
Dès que les otages ont été localisés, l'armée colombienne a encerclé la zone et s'est rapprochée du groupe composé d'une centaine de personnes. Les autorités colombiennes ont alors négocié avec le groupe des FARC, en cessant les incursions dans la forêt qui obligeaient le groupe à se déplacer. Pendant plusieurs mois, les négociations vont donc avoir lieu entre des représentants de ce groupe des FARC et les autorités colombiennes. L'armée va faciliter le ravitaillement du groupe des FARC et des otages : médicaments, vivres vont être acheminés, ce qui explique l'apparente bonne santé des otages libérés. Le contraste entre la dernière vidéo d'Ingrid Betancourt où elle apparaissait malade et amaigrie, est saisissant avec les premières images de sa libération. Les otages ont eu le temps de reprendre des forces, même si selon Mediapart, ils n'ont pas eu conscience de ce qui était en train de se passer.
Une reddition négociée, avec le soutien indirect de Nicolas Sarkozy
Les négociations sont restées secrètes jusqu'au bout. Nicolas Sarkozy
n'était pas au courant des contacts directs établis par le gouvernement
colombien avec les FARC. En revanche, les autorités colombiennes se
sont assurées, courant du mois de juin, que la promesse de Nicolas
Sarkozy d'accueillir des guérilléros des FARC en France s'ils
renonçaient à la lutte armée tenait toujours. En effet, le gouvernement
colombien a négocié avec les ravisseurs d'Ingrid Betancourt la
libération des otages en échange de l'asile politique. Une fois cette
assurance obtenue, les autorités colombiennes ont finalisé l'opération
de libération avec les chefs du groupe des FARC qui détenait les
otages. Selon Mediapart, "il a évidemment fallu plusieurs semaines pour qu'un maximum de chefs du groupe soient convaincus"
, il fallait notamment l'assurance qu'aucun coup de feux ne soit tiré.
Le 2 juillet 2008, l'opération est enclenchée : une fausse ONG est
censée transporter les otages dans un hélicoptère car les FARC n'ont
pas d'appareil. Le reste de l'opération, comme l'exfiltration des
soldats des FARC qui se sont rendus, se fera hors caméra.
La version officielle permet aux autorités et à l'armée colombienne en
particulier de sortir renforcées. Il n'y a pas eu officiellement de
négociations et Alvaro Uribe ne peut pas être accusé d'avoir assoupli
sa ligne politique. Dans le même temps, en faisant croire que la
direction des FARC a été infiltrée (ce qui semblerait ne pas être le
cas) par les services secrets colombiens, le gouvernement espère
décourager les autres groupes de FARC pour qu'ils se rendent.