Est-un roman, un récit, une pièce de théâtre, un poème, Dans ce jardin qu’on aimait ?
Pascal Quignard a l’habitude d’enjamber les étiquettes et, comme tant de ses
livres, celui-ci ne porte aucune mention de genre. Pour le confort des points
de repère, et parce qu’il s’agit de la forme la plus libre, disons qu’il s’agit
d’un roman. Mais ne le proclamons pas trop haut, chaque lecteur ayant le droit
d’avoir son avis sur la question. Question secondaire, d’ailleurs, bien que
l’écrivain dise un mot de la forme, « non
pas d’un essai ni d’un roman mais d’une suite de scènes amples, tristes, lentes
à se mouvoir, polies, tranquilles, cérémonieuses, très proches des spectacles
de nô du monde japonais d’autrefois. »
On se souvient d’un ouvrage dans lequel Pascal Quignard,
hanté par la musique, avait inventé sa version de la vie d’un musicien du XVIIe
siècle. Monsieur de Sainte-Colombe lui avait inspiré Tous les matins du monde et Alain Corneau avait, par le cinéma,
élargi le public du compositeur. Davantage encore, ceci dit, celui de l’autre
protagoniste du roman, Marin Marais, dont l’œuvre connut, au début des années
nonante, une vogue inédite.
Peut-être Simeon Pease Cheney ne bénéficiera-t-il pas du
même bonheur posthume. On ne s’en inquiétera pas outre mesure. Son travail, de
1860 à 1880, consista à noter tous les chants d’oiseau entendus dans son
jardin. Olivier Messiaen n’était pas encore passé par là, le révérend Cheney,
qui vivait dans un presbytère près de New York, était en avance sur son époque.
Et ses transcriptions, Wood notes wild,
bien qu’envoyées à différents éditeurs, se heurtèrent à des refus. Son travail
ne fut publié qu’en 1892, deux ans après sa mort.
La musique occupe donc une place essentielle dans le texte.
Mais aussi la lumière et les déplacements des personnages, car Dans ce jardin qu’on aimait est organisé
pour être porté à la scène. On l’imagine, cette scène, belle et sobre à la
fois, éclairée de l’intérieur par la passion qui anime les protagonistes.
Outre un narrateur qui pourrait avoir la voix de Pascal
Quignard, portée par un souffle qui déborde les mots, ils sont trois
intervenants. Simeon lui-même, bien sûr, qui dit la passion amoureuse pour sa
femme morte en couches, et qu’il n’a jamais cessé de chérir, voyant dans sa
fille Rosemund, désormais plus âgée que ne le fut jamais Eva Rosalba Vance
Cheney, la cause de son veuvage. Simeon ne s’exonère pas de toute
culpabilité : il a sciemment choisi, au moment de l’accouchement, de
laisser la vie à la fille plutôt qu’à la mère. Et il le regrette amèrement,
chassant sa fille du presbytère parce qu’il ne supporte plus de la voir, tant
elle lui rappelle douloureusement l’épouse.
Le chant est magnifique, à la hauteur de ce que cherchait l’auteur quand,
plus haut, il définissait son livre. « Mais
ce n’est pas parce que nous vivons encore que nous sommes heureux »,
écrit-il avec la voix de Simeon, déchiré à jamais et en partie aveuglé par
l’amour. Car les paroles d’Eva, murmurées de l’au-delà, ne sont pas celles
qu’il attendait. C’est d’une beauté poignante.