Quand le silence des mots réveille la violence des maux (2)

Publié le 18 avril 2019 par Eric Acouphene

Les séparations, les pertes

Elles sont vécues à des degrés divers, suivant l’âge et la phase de développement. Souvent l’émotion, les sentiments réels qui s’y rattachent ne sont pas directement exprimés, ne peuvent être dits, le travail de deuil ne peut se faire… et cela va s’inscrire dans le corps, dans un signe, une trace qui se révèlera plus tard à partir d’un petit évènement déclenchant. Cet homme de cinquante ans raconte avec une émotion intense faite de désespoir et de colère mêlés cet épisode de ses sept ans où au retour de l’école il découvre « Boum Boum » son ami le cochon, éventré contre le mur de sa ferme. Son père avait tué son meilleur ami, son confident. Il se cacha toute la nuit avec un sentiment immense de culpabilité. « Il n’avait pas su protéger son ami ». Et pendant de longues années, aux temps de Noël, il trouvera toujours moyen de se blesser, de se tailler, de se couper, de se mutiler. Son corps porte la trace de nombreuses cicatrices… qui témoignent de son impuissance à sauver son animal préféré, « l’être le plus cher au monde » dans cette période de sa vie. Cette femme, mère de quatre filles, est allergique « depuis toujours » dit-elle (il faut toujours se demander quand commence le « toujours » dans une vie). Allergie à certaines odeurs et pollen, liée à la perte d’une poupée jetée à la décharge parce que « trop vieille, trop sale ». « Tu ne vas pas garder cette cochonnerie dans ton lit » avait décrété la mère. Et chaque année au mois d’octobre (mois où la poupée avait été jetée), elle produit une sinusite infectieuse, tenace, agressive. Ces traces en elle furent retrouvées, le jour où en rangeant le grenier elle découvrit la première poupée de sa fille et éclata en sanglots, sans comprendre nous dit-elle. La petite Louise avait neuf ans quand elle perdit sa mère nourricière, la seule mère qu’elle ait connue. Celle-ci avait soixante ans au moment de sa mort et cinquante et un ans plus tard Louise, devenue grand-mère, fit une dépression nerveuse. Elle dira bien longtemps après à son fils: « Tu sais, moi aussi j’avais pensé mourir à soixante ans comme ma mère ».

Les messages anciens de fidélité ou de réparation

Ils se jouent souvent sur le mode de la soumission, de l’identification ou de la dette. Jean, trente-sept ans, produit plusieurs fois par an des sinusites, des rhumes mauvais qui se prolongent longtemps. Jusqu’à ce qu’il puisse dire à sa mère avec quelques trente ans de retard « la vérité » sur un évènement de son enfance. A sept ans il avait failli se noyer et avait caché cela à ses parents. Ce jour-là, oui, en l’écoutant enfin, sa mère ouvrit ses bras et lui dit: « mon pauvre petit ». Il put pleurer longuement et « lâcher » à ce moment- là toute l’eau angoissante qu’il avait gardée pendant tant d’années… et « lâcher » ainsi ses sinusites chroniques.

Fidélité à des messages anciens, à des engagements à tenir, à des réparations à faire.

Cette ex-petite fille a voulu « redonner » et « offrir » ainsi à sa mère le petit bébé que celle-ci avait péri lors d’une fausse couche, un petit garçon, par exemple, qui aurait comblé de joie la grand-mère; mais dans l’histoire conjugale de ce couple, il n’y avait pas de garçon, « seulement » trois filles… et quelques années plus tard cette femme (l’ex-petite fille) produira un kyste sur l’ovaire gauche (à la table familiale la mère était toujours à sa gauche). Oui, quand nous écoutons, quand nous acceptons de laisser s’associer tant de signes produits par le corps, nous commençons à entendre des histoires fabuleuses… et pas nécessairement dramatiques. La mémoire du corps est incroyablement riche et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle se dise. Il arrive ainsi au corps de hurler dans le silence des mots. Ne dit-on pas « à corps et à cris ». Il va tenter de parler, de lâcher les conflits, de déposer des sentiments trop lourds, des demandes refoulées, des sentiments de dette ou de réparation. Ainsi le corps peut devenir un champ de bataille, extraordinairement fécond par les « discours » contradictoires qui s’y affrontent. Le dilemme des écoutants et des soignants est le suivant: « Si je soigne, je détruis le symptôme, je bâillonne donc ce qui tente de se dire par cette médiation ». C’est pour cela que la médecine classique qui vise à rétablir le fonctionnement, à supprimer les conséquences d’une infection risque de passer à côté de l’essentiel: entendre ce qui se dit, ce qui se crie, ce qui se débat dans l’expression d’une somatisation. Très souvent, sans que cela soit nécessairement conscient, il y a quand même réparation symbolique dans la relation avec le soignant. Ce sera à l’occasion d’un geste, d’une parole, d’une association que se rétablira le lien dans une chaîne de signifiants qui échappent à la fois au soignant et au soigné. C’est la qualité de certains thérapeutes d’introduire ainsi dans leur relation des équivalents symboliques qui restaurent cette dimension chez l’autre.
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