Avec La vie sans toi, Xavier de Moulins (dont je parle en le considérant de plus en plus comme écrivain plutôt que journaliste, même si bien entendu il l'est toujours) bascule franchement dans le roman noir, tournant que j'avais déjà pointé il y a quelques mois dans Charles Draper.
On retrouve les mêmes constantes que dans ses livres précédents : culpabilité et sacrifice, enfer et paradis, confiance et jalousie ... peut être exacerbés dans ce dernier où la violence monte crescendo.
Je ne voudrais pas trop en dire. La vie sans toi est un thriller psychologique qui prend racine (comme le roman d'Alain Gillot, S'inventer une île) dans la perte d'un enfant, Stan, qui remonte à 8 ans. J'en ai sans doute déjà trop dit ... mais il reste des secrets à découvrir.
Là aussi la mère et le père ont chacun une approche différente du deuil. Avec un obstacle supplémentaire qui est la difficulté de la communication au sein du couple. L'auteur alterne les points de vue, nous donnant celui de l'un puis de l'autre. Le lecteur se place donc dans le cerveau de Paul puis d'Eva pour revivre la même scène, ce qui installe un récit ralenti par les constants retours en arrière. Xavier de Moulins fait en quelque sorte bégayer l'histoire.
Là où il est diabolique c'est lorsqu'il fait intervenir d'autres personnages dont on ne mettra pas en doute les intentions ... puisqu'on se pense tout puissant, nous lecteurs, à disposer depuis le début de la première partie de toutes les clés pour comprendre Paul et Eva. On a curieusement oublié l'introduction qu'on relira avant de refermer le livre.
C'est un des intérêts du roman que de penser avoir tout compris et d'être ensuite surpris par un retournement inattendu. Il serait donc stupide de relater, ne serait-ce qu'une partie de l'intrigue, dont la complexité est diabolique, renforcée par une construction intercalant le présent avec le passé, voire même le futur suivi d'un très étonnant futur antérieur dans la troisième partie (p. 313).
Je peux néanmoins dire qu'il sera question de migraine, chez plusieurs personnages, et d'un médicament très particulier (p. 86) qui pourrait bien s'avérer être plutôt un poison. Que Xavier de Moulins offre un très beau personnage de wonder woman, à la fois maman et manager, qui, nous dit Paul n'est pas de ces femmes qui s'effondrent à cause de la douleur mais de celles que la douleur renforce (p.32).
Sa force n'est peut-être qu'apparente. Elle nous prévient (p. 36) : je suis le mur porteur, la pierre angulaire de la vie de famille, et je me lézarde.
Le fusil de la jalousie (p. 106) retentira plusieurs fois. Je vous laisse découvrir comment à force d'être fragile, on devient une proie, à moins d'être soi-même un bourreau. Le départ d'une femme n'est rien comparé à la mort d'un enfant, mais quand les deux s'additionnent, on peut y rester (p. 140)
Les frontières s'abolissent entre le futur et le passé, le
réel et le fantasme, la vie et la mort, la sagesse et la folie. une chose est sûre : Un mort ça ne claque pas des doigts pour réparer les vivants (p. 230).Un dernier conseil pour accompagner votre lecture : écoutez Lose yourself d'Eminem pour vous donner du courage. Je vous aurais prévenu, c'est un roman noir, ... noir. Sachez tout de même qu'il existe toujours un moyen de contourner les obstacles qui nous font croire qu'il n'est plus possible d'aller plus loin (...) c'est l'imagination et l'amour (p.326).A l'instar d'un tableau de Soulages, le noir peut chez Xavier de Moulins devenir lumière.
La vie sans toi de Xavier de Moulins, JC Lattès, en librairie depuis le 27 mars 2019