À la suite d’une consultation organisée par la commission européenne en 2018, les députés européens ont suivi les 84% des 4,6 millions de citoyens ayant pris part à ce sondage, pour se prononcer en faveur de la suppression du changement d’heure saisonnier en 2021. Cette suppression actée le 26 mars 2019 était également soutenue par le parlement européen qui avait adopté en février 2018 une résolution demandant l’abrogation de cette mesure. En effet, à l’origine, ce changement d’heure permettait de faire d’importantes économies d’énergie. Mais avec les avancées technologiques et l’usage conjugué de produits et d’appareils à forte efficacité énergétique, le gain est depuis quelques années devenu minime et négligeable au regard des contraintes humaines et logistiques liées à un double changement d’heure annuel.
Reste maintenant aux États membres, y compris la France, de décider du nouveau fuseau horaire et donc de choisir entre l’heure d’hiver (GMT +1) et l’heure d’été (GMT +2). Sur cette question, les avis en France sont partagés. Une dizaine de sondages montrent une préférence des français pour l’heure d’été (59%), mais une partie de la classe politique avance des arguments en termes notamment de santé publique afin de faire pencher la balance sur l’heure d’hiver. Pour le grand public, le lobby est surtout le fait de grandes multinationales, ou de grands secteurs industriels qui défendent des bénéfices personnels au détriment de l’intérêt public. Les récents débats sur le sujet ont fait ressortir quelques histoires mêlant changements d’heures et lobbies. Si pour les économies d’énergie, l’Europe ne réagit que maintenant, les États-Unis et certains secteurs industriels ont quant à eux pris les devants depuis plusieurs décennies.
Genèse du changement d’horaire
Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs des États-Unis est le premier qui suggère cette possibilité dans le journal de Paris le 26 avril 1784. Il évoque l’idée de décaler les horaires pour profiter plus longtemps de la lumière du soleil et permettre ainsi d’économiser des chandelles. Cette idée n’est reprise que plus d’un siècle plus tard, au milieu de la première guerre mondiale. Le 30 avril 1916, l’Allemagne instaure le changement d’heure. Cette décision est rapidement suivie par le Royaume-Uni le 21 mai 1916 puis votée en France le 19 mars 1917 sur proposition du député André Honnorat. Le pays décide ainsi de rajouter une heure de plus l’été par rapport à celle de Greenwich afin de faire des économies sur le charbon et le pétrole gaspillés en éclairage inutile. Cette modification est appelée en France « l’heure de guerre ». (GMT + 1)
Pendant la deuxième guerre mondiale, sous l’occupation, l’Allemagne ajoute à la France et sa zone occupée encore 1 heure supplémentaire à l’heure d’été (GMT +2). Cette situation pose des problèmes logistiques entre zone libre et occupée contraignant Vichy à s’aligner sur l’horaire allemand. A la libération, le gouvernement français revient à sa situation d’avant-guerre (GMT +1). Suite au choc pétrolier de 1973, le changement d’heure revient sur le devant de la scène. En 1975, un tiers de l’électricité est générée par des centrales à fuel mais la crise du pétrole entraine une flambée des prix. L’heure d’été est rétablie le 28 mars 1976 par le président Valéry Giscard-d ’Estaing afin de réaliser des économies d’énergie. Avec le temps et les années, ce changement séduit de plus en plus de pays partout dans le monde. L’UE impose en 2001 la synchronisation des changements d’heures chez ses états membres (Directive 2000/84/EC). Aujourd’hui, pour la majorité des pays dans le monde, il n’y a plus de changement d’heure, la population mondiale garde son heure légale constante toute l’année. C’est le cas de la Chine, qui a annulé le concept en 1992 car jugé inefficace.
Les Russes, ont abandonné le changement périodique en 2011 par un décret du président Dmitri Medvedev en faveur de l’heure d’été. Puis en 2014, le président Vladimir Poutine fait passer le pays à l’heure d’hiver. Il s’est appuyé sur des études qui font état de problèmes de stress, de santé et un taux de suicide en hausse en particulier dans le nord du pays où les matinées restent dans l’obscurité plus longtemps pendant l’hiver. Pour les pays situés le long de l’équateur, la durée des jours et des nuits reste quasiment la même au cours de l’année. Donc, pas besoin de changer d’heure pour économiser de l’énergie. Dans ces pays, il n’y a jamais vraiment eu de débat sur la question.
L’exemple américain de lutte d’influence
On étudiant le cas américain, on perçoit l’influence des lobbies même dans un domaine qui semble aussi anodin que celui du choix entre l’heure d’été ou l’heure d’hiver. Jusqu’en 1986, les dates de changement d’heure étaient communes des deux côtés de l’Atlantique. Puis nous assistons aux États-Unis à un étrange décalage, le Congrès avance l’arrivée de l’heure d’été de trois semaines. La lutte d’influence a été remportée par les industries du barbecue, du golf et des bonbons au détriment par exemple des compagnies aériennes qui ont été obligé de recaler tous les horaires de leurs vols internationaux. Une opération de plusieurs centaines de millions de dollars. Selon les calculs de l’industrie du barbecue, « l’heure d’été » représente une hausse du chiffre d’affaire de 200 millions de dollars de vente. L’industrie du golf qui s’est jointe à la revendication, promet quant à elle une hausse de 400 millions de dollars en vente de matériels et inscriptions en clubs si le soleil se couche une heure plus tard un peu plus longtemps. Les chambres de commerce et des supermarchés s’invitent dans la partie en avançant que les américains sont plus enclins à faire des emplettes en sortant du travail s’il fait encore jour. En 2005, l’heure d’hiver est repoussée d’une semaine. Cette fois, c’est l’industrie du bonbon qui milite pour repousser l’heure d’hiver à début novembre pour qu’Halloween tombe pendant l’heure d’été afin de générer plus de vente de bonbons.
Une guerre d’information se dessine en France entre les partisans de l’heure d’été et ceux de l’heure d’hiver
Partisans de l’heure d’été. Actuellement, l’heure d’été a le vent en poupe. Les sondages vont en ce sens et plusieurs pays y sont également favorables dont l’Allemagne. Les secteurs mis en avant concernent les bénéfices sur le tourisme, les sports, l’industrie des loisirs, le moral, le travail des ouvriers du bâtiment ou encore l’économie.
Partisans de l’heure d’hiver. Pour l’heure d’hiver, il n’y a guère que quelques personnalités politiques et les défenseurs de la santé, de l’écologie ou du bien-être qui militent en sa faveur. En 1996, Alain Juppé voulait supprimer l’heure d’été. La commission sénatoriale avait rendu un avis dans ce sens (https://www.senat.fr/rap/r96-13/r96-13_mono.html). Le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, a déclaré qu’il était favorable à l’idée de « réduire l’écart » avec l’heure naturelle du soleil, autrement dit qu’il était favorable au maintien de l’heure d’hiver toute l’année.
Il est intéressant d’étudier les sujets abordés par les partisans de l’heure d’hiver qui ont pour objectif de rattraper le retard dans les sondages. En termes de santé publique, le changement d’heure pourrait perturber notre horloge biologique. Lors du passage à l’heure d’été (2 heures de plus par rapport au soleil), le manque de sommeil peut provoquer une chute de l’attention, occasionner de la somnolence, de la nervosité ou dégrader l’humeur. Différentes études font état d’une hausse des infarctus du myocarde ou des crises cardiaques. Des messages sont martelés pour préciser qu’il ne faut pas confondre la saison d’été avec l’heure d’été et qu’il serait bon de s’inspirer de la Russie ou d’autre pays européens favorables à l’heure d’hiver comme la République Tchèque, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas.
Campagnes de manipulation de l’information par le contenu.
Les derniers sondages européens sont remis en question par une partie des défenseurs de l’heure d’hiver. Tout d’abord sur la participation record. Avec 4,6 millions de réponses, la consultation a étonnamment mobilisé très largement les citoyens pour ce type de problématique. Sur la représentativité du panel, ce sont surtout les allemands (pro heure d’été) qui ont été 3,1 millions à participer au sondage, soit 70% des répondants. Les Français ont été 393 000 à répondre. Enfin sur la technique, le résultat vient d’un questionnaire Limesurvey (open source) pour lequel on peut voter autant de fois qu’on veut si on procède au nettoyage des cookies ou en utilisant la navigation privée. Autre fait, le serveur aurait connu des problèmes techniques, des coupures à plusieurs reprises dues à une saturation des connections. Enfin, certains reprochent de la confusion aux questions. Les résultats auraient pu être différents si les questions avaient été moins orientées et posées autrement.
Fibre patriotique
En 1945, de nombreux pays d’Europe de l’Ouest ont tenu à supprimer l’heure d’été (GMT +2) pour atténuer le souvenir de l’occupation allemande qui leur avait imposé un changement de fuseau horaire. La France est donc repassée à (GMT+ 1) et devait, deux mois plus tard, reculer encore d’une heure pour revenir à l’heure d’hiver GMT. Deux heures de moins en deux mois… on imagine les perturbations pour les métabolismes humains et animaux. Du coup, ce deuxième changement d’heure a été annulé en catastrophe. Seulement, pour faire bonne mesure patriotique, il a été décidé de ne pas repasser à l’heure d’hiver et la France est restée à (GMT+ 1) de 1945 à 1976. À cette date, pour gagner de l’ensoleillement, on a instauré une nouvelle heure d’été à (GMT+ 2). Bref, l’Europe occidentale est alors revenue à l’heure allemande imposée par l’Allemagne hitlérienne. Et par conséquent, de plus en plus de slogans apparaissent sur les réseaux :
« Mon pays à l’heure allemande ! Madame Merkel, rendez-nous notre heure ! »
Écologie, nutrition et retour à la nature
On peut sentir émerger de nouvelles approches qui ont fait leurs preuves ces dernières années dans le domaine de l’agro-alimentaire. Souvenons-nous de la COP 21, de l’explosion des ventes de produits bio, de l’augmentation des mouvements de défenseurs du bien-être animal… Une piste crédible qui bien menée pourrait avoir du succès. Il faut préciser que des arguments contradictoires dans les deux camps s’annulent : luminosité, mode de vie, sécurité routière, rythme scolaire, emploi, Europe… A la lumière du nombre de participants, ce sujet à l’air de passionner l’Europe. Les prochains mois nous donnerons peut-être de nouvelles grilles de lecture sur cette guerre d’information.
Pour conclure, il est important de dénoncer l’hypocrisie de la concertation européenne. Les états membres doivent s’appuyer sur le choix de leurs citoyens pour choisir entre l’heure d’été et l’heure d’hiver d’ici avril 2020. Or il est également demandé une coordination des États afin d’éviter de diviser l’Europe en un énorme « patchwork ». Quid de la consultation aux français si l’avis va à l’encontre des pays limitrophes, notamment de la Belgique, du Luxembourg et surtout de l’Allemagne ?
Maxence Tettamanti
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