MALI : 15 jours après le massacre d’Ogossagou, la population toujours traumatisée

Publié le 09 avril 2019 par Frédéric Joli

Deux semaines après le massacre perpétré dans le village d’Ogossagou, qui a fait au moins 161 victimes, le temps semble s’être figé. Les conséquences humanitaires pour les populations demeurent importantes.

Une poussière rougeâtre soufflée par le vent recouvre tout : cases et greniers incendiés, bâtisses criblées d’impacts de balles, voitures calcinées, cadavres d’ânes. Les puits pollués avec des carcasses d’animaux sont inutilisables. Les troupeaux ont été emportés. Les familles ne se remettent pas encore du choc de ce massacre qui vient s’ajouter à une série récente d’événements très violents entre éleveurs et agriculteurs de la région.   

Sadio Kelly, 17 ans, rescapée, témoigne : « Nous n’avons pas eu le temps de fuir. Ceux qui ont essayé se sont fait tirer dessus. Ils ont jeté beaucoup de personnes dans le puits. C’est pour ça que nous venons chercher de l’eau à la pompe. Ils ont tenté de la détruire aussi en vain. Ils ont brûlé beaucoup de hangars d’animaux et de vivres. Ils ont tiré sur les gens. Une balle m’a effleurée. »

Les populations essaient de se relever mais les conditions de vie sont précaires.

Afin de répondre aux besoins urgents, une assistance alimentaire a été remise à l’ensemble aux 1 500 habitants, aussi bien peuls que dogons, du village d’Ogossagou par la Croix-Rouge malienne et le CICR. Des articles ménagers de première nécessité ont aussi été distribués. Des activités sont par ailleurs mises en œuvre pour aider à rétablir les liens familiaux entre ceux qui ont été évacués à l’hôpital de Mopti et ceux qui sont restés au village.

La Croix-Rouge malienne est surtout rapidement intervenue pour évacuer les 74 blessés – dont 43 dans un état grave – depuis Bankass, ville la plus proche située à une vingtaine de kilomètres du village d’Ogossagou, vers l’hôpital de Mopti, Somine Dolo, et aussi pour maintenir des liens familiaux entre ceux restés au village et ceux évacués à l’hôpital. Quelques rescapés y sont soignés :

Abdoulaye Barry, rescapé accompagnant son ami Boukary, blessé à la tête, témoigne : « Tout a été détruit. Je ne possède que ce boubou que l’on m’a donné ici. Il ne me reste plus que ma vie et mon souffle. »

Les blessures, invisibles, tapies au fond des cœurs et des souvenirs, risquent de s’enraciner pour longtemps. Le CICR a dépêché Insaf Mustafa, psychologue en soutien psychosocial de crise, pour aider les blessés hospitalisés et les patients les plus affectés à mettre des mots sur leur détresse :

« Quand on parle d’événement traumatique de ce genre, les douleurs ne sont pas uniquement physiques. Les dégâts sont également psychologiques. Le trauma ne s’exprime pas seulement par des pleurs ou de la tristesse mais aussi par des symptômes physiques, des maux de tête, des difficultés à trouver le sommeil ou une perte d’appétit. »

Les populations restées au village, quant à elles, vivent dans l’angoisse d’une nouvelle attaque. Cette angoisse est d’autant plus forte qu’elle est seule à occuper les esprits car les populations n’ont plus accès à leurs champs et ont perdu tous leurs moyens de subsistance.

Le drame qu’a vécu le village d’Ogossagou est extrêmement préoccupant et vient souligner la dégradation sécuritaire et l’exacerbation des tensions intercommunautaires au centre du Mali, alors que le Nord du pays demeure extrêmement volatile.

Cette dégradation de la situation sécuritaire a eu des conséquences humanitaires complexes, notamment des mouvements de population sans précédent, en particulier dans la région de Ménaka, frontalière du Niger. Elle interrompt aussi les mécanismes de résilience naturelle développés par les communautés pour parer aux effets du changement climatique et augmente la pression sur des ressources déjà très limitées. L’insécurité, les inondations suivies de sécheresses sont les éléments entraînant une crise humanitaire qui affecte 7,2 millions de personne au Mali, dont environ 50% de femmes et 19% des enfants de moins de cinq ans. L’enchaînement de ces chocs à répétition empêche 3,2 millions de personnes d’assurer leur sécurité alimentaire ou d’accéder aux centres de santé (rapport du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires du 22 janvier 2019). La situation engendre aussi un important mouvement interne de déplacements des populations : en l’espace de six mois, le nombre a doublé, passant à 120 000 dans tout le pays, dont plus de 54 000 dans la seule région centrale de Mopti (Bulletin OCHA, janvier 2019).

Le CICR demande à tous les acteurs de faire preuve de retenue, d’assurer la protection de la population et de faciliter l’accès des organisations humanitaires à la région.