Ce livre est un roman.
Cette précision qui figure en quatrième de couverture n'est pas superflue. Mais le lecteur sait à quoi s'en tenir avec Philippe Sollers quand il s'agit de son oeuvre prétendument romanesque.
En fait c'est Sollers qui l'est, romanesque, et il pourrait tout aussi bien dire: ceci n'est pas un roman, à la manière de Magritte, en dépit de l'affirmation que soutient mordicus son éditeur avec lui.
Pour respecter les convenances littéraires, il y a bien sûr des personnages, qui sont cette fois les ascendants du narrateur et... un invité permanent, un dénommé William Shakespeare.
Car Sollers aime que ses personnages de roman se trouvent en agréable compagnie, comme celle de Stendhal ou de Hegel, par exemple, avec lesquels il a certainement des affinités électives.
Sollers ne serait pas Sollers s'il n'y avait pas une Lisa ou une Silvia, faisant dans son récit une apparition, ne serait-ce que furtive, comme un clin d'oeil complice à la gent féminine qu'il chérit:
Ma partenaire d'illusion préférée s'appelle maintenant Constance. C'est une blonde rapide au yeux verts rieurs, toujours gaie, et qui n'a aucune idée du monde quantique où elle existe...
Le Nouveau est le nom d'un bateau de secours, entreposé sur un grand trois-mâts au long cours, commandé par Henri, mon arrière-grand père maternel... et dont l'annexe de barque est le vestige.
Le narrateur donne ce nom, Le Nouveau, à un théâtre spécial qu'il fonde, sans salle, sans acteurs, sans déclamations, sans public. Tout s'y déroule en silence, à l'écoute de la percussion des mots:
Au lieu de lire un roman qui se traîne (même les meilleurs), je monte sur la scène du temps. Je m'appelle Hamlet, Lear, César, Antoine, Macbeth, Shylock, Prospero. Je me coule dans leurs pensées, leurs émotions, leurs gestes.
Sacha Guitry disait: Quoi de neuf? Molière! Le narrateur de Sollers, en écho, dit: Le Nouveau? William Shakespeare! Le lecteur sait dès lors ce qui, intemporel, va se jouer sur la scène de son théâtre spécial:
L'horrible y côtoie l'admirable, la tragédie, la comédie, la découverte la plus essentielle, la routine abrutie. En dehors de toute morale, Le Nouveau ne retient que les singularités extravagantes et contradictoires.
L'analyse - et les traductions singulières - que le narrateur fait des pièces et des poèmes de William lui sont matière à digressions et lui permettent de mettre à jour un dieu nouveau, un dieu extrême:
- C'est un dieu intermittent, imprévu.
- Comme c'est un dieu extrême, il ne choisit que des singularités.
- Il est impassible: Le constat de stupidité lui suffit.
- Son élément fluide est l'attente.
- Il ne s'impose pas, il indique et dissout.
- Il multiplie les oppositions, et on dirait que la contradiction est son élément vital.
Pour le narrateur de Sollers, vivre n'est pas nécessaire, naviguer l'est...
Francis Richard
Le Nouveau, Philippe Sollers, 144 pages, Gallimard
Livres précédents de Philippe Sollers chez Gallimard:
Trésor d'amour (2011)
L'éclaircie (2012)
Médium (2014)
L'école du mystère (2015)
Mouvement (2016)
Beauté (2017)
Centre (2018)
Livre précédent de Philippe Sollers chez Grasset, avec Franck Nouchi:
Contre-attaque (2016)
Livre précédent de Philippe Sollers, chez Bayard, avec Josyane Savigneau:
Une conversation infinie (2019)