Une rencontre de hasard, dans le pays où je vis et où Pierre
d’Ovidio venait chercher la matière de deux livres, s’est faite après que j’avais
déjà lu deux de ses romans : Pierre d’Ovidio, être chaleureux qui aimait
les gens et le livre d’artiste, est dès lors devenu un proche-lointain. Jamais
revu mais jamais non plus sans nouvelles. Il m’avait demandé si je pouvais l’aider
à vérifier une phrase ou deux, en malgache, dans Le choix des désordres. Il m’avait donné un rôle secondaire dans le
récit de voyage ramené de Madagascar, Nationale 7.
ActuaLitté a annoncé sa mort, il y a presque une semaine
déjà. Je ne trouvais pas le courage de saluer Pierre d’Ovidio. Voici donc
enfin les traces de quelques lectures.
Demain c’est dimanche (2001)
Accéder au repos dominical n’est pas toujours une sinécure, à
en croire Demain c’est dimanche de
Pierre d’Ovidio. Jean Mascarpone, correspondant d’un journal de province, y
cultive la tristesse du départ de Giulia pour des cieux moins pluvieux, et
traîne ses bottes dans la boue des sentiers pour retrouver le corps d’une
disparue. Un cadavre peut en cacher un autre et un suicide relancer sur la
piste d’une ancienne affaire crapuleuse. De la même manière qu’un cœur solitaire
peut trouver du réconfort auprès de deux corps chaleureux. Même si la vie n’est
pas rose aux hommes, dans le pays où est né Descartes, il est possible d’en
prendre le meilleur dans ce roman savoureux. On gagne à partager les bonheurs
simples offerts par d’Ovidio. Avec une énigme policière qui transforme ce
tableau champêtre en roman.
Pertes et profits (2002)
Mascarpone, ce n’est pas seulement le nom d’un fromage, c’est
aussi celui d’un « localier », autrement dit un journaliste de base, dans
le pays pluvieux de Descartes. On l’avait rencontré dans Demain c’est dimanche, le précédent roman de Pierre d’Ovidio. On le
retrouve avec un identique mal de vivre, une sorte de fatigue généralisée qui
doit beaucoup à l’absence de Giulia, partie sous des cieux plus cléments.
La boue, la pluie, elle n’aimait pas ça. On le savait déjà. Mais,
comme Mascarpone y pense tout le temps, il ne peut pas s’empêcher de nous le
redire sans cesse. L’ambiance est morose, au bord d’une déprime sournoise qui
ne lâche pas le journaliste. Il aurait voulu être romancier, au lieu de quoi il
aligne les platitudes sur des faits divers ou des fêtes de patronage.
Pour exciter le lecteur bien plus que le personnage
principal, il y a quand même de vraies infos. Un meurtre, des ossements humains
retrouvés sur un lieu de passage, pendant la Seconde Guerre mondiale, entre la
zone libre et l’occupée. Le lien n’est pas évident, il faut gratter longtemps
pour comprendre ce qui se cache sous la poussière du temps. Et encore. Ne
vaudrait-il pas mieux laisser retomber cette poussière sur le passé ? A
qui profiterait l’élucidation de l’énigme ?
Le désenchantement de Mascarpone devant la vie contamine l’intrigue.
Au fond de tout cela, il y a un « À quoi bon ? »
Pertes et profits
est pétri, néanmoins, d’une profonde connaissance de l’homme, et cela n’a rien
de paradoxal. Puisqu’il faut bien, de toute manière, s’éveiller demain matin, avec
même, qui sait ?, un petit bonheur à la clé.
Les enfants de Van Gogh (2007)
Une communauté de jeunes artistes passionnés. Une belle
utopie, dans les années soixante-dix, après la gauche radicale, après Pompidou.
Ensuite, quelques claques dans la figure pour les garçons quand ils découvrent
les filles plus libres qu’eux. Quand ils doivent reconnaître que leurs
créations n’intéressent personne. Quand l’enthousiasme et l’amitié s’effilochent.
Pierre D’Ovidio recoud les morceaux avec beaucoup de conviction. Et fait revivre,
pour quelques personnages, une époque révolue.
L’ingratitude des fils (2011)
Après la guerre, le chaos. Pierre D’Ovidio lance un nouveau « grand
détective » dans la France de 1945. Cherchant à identifier un cadavre
trouvé dans la neige par des enfants, Maurice, jeune inspecteur, possède peu d’éléments.
Mais Ginette, qu’il vient de rencontrer et qu’il aime déjà, lui apporte une
aide précieuse. Et le souvenir de la rafle du Vél’ d’Hiv’, au cours de laquelle
Maurice a sauvé ceux qu’il a pu, traverse une enquête liée au passé proche. Le
décor est splendide.
Le choix des désordres (2012)
Deuxième enquête de Maurice Clavault, découvert dans L’ingratitude des fils. Son chef ne l’aime
toujours pas, au contraire de Ginette, malgré un début de carrière sur scène
qui pourrait lui donner d’autres désirs. Et voici Maurice en mission à
Madagascar où un Français a disparu, où la révolte gronde début 1947. Son
nouveau chef ne vaut pas mieux que le précédent, car l’esprit colonial est
aussi étriqué que le sens de la hiérarchie. Du moins, on se balade, au risque
du palu.
Le paradis pour demeure (2013)
Bertrand a eu sa période Je
vous trouve très beau, pendant laquelle il espérait que des jeunes femmes
recrutées sur annonces dans les pays de l’Est l’aideraient à la ferme, et plus
si affinités. Cela s’est mal terminé et le paysan passe à L’amour est dans le pré en recueillant une jeune clocharde à Paris.
Marianne est une bombe à retardement. Toujours à la limite de l’explosion, elle
ne tarde pas à secouer le village. Les pieds dans la boue et la tête dans un
livre de Françoise Giroud comme la mère de Bertrand, Pierre D’Ovidio démonte la
paix artificielle d’un coin réputé tranquille et s’interdit de recoller les
morceaux.
La tête de l’Anglaise (2016)
Joël est le monstre désigné
par la presse et le peuple : c’est lui qui a tué et dépecé l’Anglaise
retraitée, dans une campagne dont son père lui a appris la dureté. Et comment
la combattre par plus de dureté encore. La deuxième partie, dans la tête du
présumé coupable, nous fait suivre la pensée sinueuse d’une défense dont la
logique nous échappe parfois. Mais qui, sur l’instant, semble irréfutable à
Joël, avant qu’il change d’avis.