Critique des Fourberies de Scapin, de Molière, vues le 2 avril 2019 au Théâtre 13
Avec Isabelle Andrzejewski, Théo Askolovitch / Axel Giudicelli / Damien Sobieraff, Sébastien Gorski / Tigran Mekhitarian, Charlotte Levy / Pauline Huriet, Tigran Mekhitarian / Théo Askolovitch, Louka Meliava, Théo Navarro-Mussy, Etienne Paliniewicz, Blanche Sottou et Samuel Yagoubi dans une mise en scène de Tigran Mekhitarian
J’avoue m’être un peu laissée porter vers cette création : c’est parce qu’on m’a proposé d’y aller que je me suis retrouvée dans la salle ce soir-là. Rien lu, rien vu, rien entendu. Avant d’entrer, on me prévient quand même : c’est une version rap des Fourberies de Scapin. Après tout, pourquoi pas. J’ai vu des Fourberies de toutes les couleurs ces dernières années, alors le rap ne me fait pas vraiment peur. Il rappelle même le côté « Scapin des rues » de Laurent Brethome, sans doute la version qui m’a le plus marquée. Ceci étant, lorsque j’entre dans la salle, PNL à fond, drap tendu en fond de scène où je déchiffre le nom d’Adama Traoré, je m’attends à une expérience vraiment spéciale, à un nouveau point de vue, à une intéressante surprise. Mais on sera plutôt sur une déception.
Scapin, c’est le valet de Léandre, le fils de Géronte. Alors que son père était parti, Léandre s’est entiché de Zerbinette, qu’il souhaite racheter aux gitans qui la possèdent. Un problème similaire se pose du côté d’Octave, le fils d’Argante, qui lui s’est marié à Hyacinthe en l’absence de son père. Lorsque les deux pères reviennent et apprennent les nouvelles, ils entrent dans des fureurs folles et les deux fils fautifs se voient dans l’obligation de faire appel aux services de Scapin dont les fourberies pourraient les sortir d’affaire.
Une version rap, jeune, gangsta de Scapin n’a en soi rien d’incohérent. Scapin peut tout à faire faire partie de la street, être vu comme une racaille, n’être qu’un chien de la casse. Le pari de Tigran Mekhitarian n’avait donc rien de transgressif, au départ. C’est un point de vue même plutôt intéressant, dont Jérémy Lopez avait incarné toute la complexité et la noirceur dans la version de Laurent Brethome. Difficile de jouer la comparaison. Mais plus difficile encore lorsque le point de vue semble en réalité émaner d’une idée décorrélée du texte-même.
Je m’explique. La pièce s’ouvre sur un rap de Scapin. Pourquoi pas. Mais il ne s’agit pas de raper Molière, il s’agit d’ajouts sur le point de vue de Scapin, sur sa vie. Soit. A plusieurs reprises, des parties rapées viendront s’ajouter au texte, mais sans rien lui apporter. Elles alourdissent plus qu’elles ne servent. Elles cassent un rythme qui ne parviendra jamais à véritablement s’installer. Elles ennuient, comme lors d’un échange entre Léandre et Zerbinette, où le premier prétend que Scapin rap mal et que sa bien-aimée lui répond qu’il est jaloux. L’échange se poursuit ainsi : – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non – T’es jaloux – Non. Molière avait certainement besoin d’une telle verve…
Alors oui, à plusieurs reprises, on rit. Mais jamais pour Molière lui-même. On rit d’un petit wallah ou d’un miskine rajouté à la fin d’une phrase. On rit parce que c’est un peu inhabituel et décalé, pas parce que c’est fondamentalement cohérent avec ce qu’on est en train de voir. Ça aurait pu l’être : faire jouer Scapin dans une cité, faire des personnages des véritables voyous, pourquoi pas. Mais là on dirait simplement qu’il y a d’un côté l’idée du rap et des petits ajouts, et, de l’autre, le texte. Entre les deux, le vide.
Résultat ? Pas mal d’incohérences qui viennent presque gêner la compréhension du texte originel. Que vient faire cette banderole réclamant justice pour Adama Traoré en fond de scène ? Elle n’a absolument rien à voir avec le propos et la seule tirade qui aurait pu, peut-être, éventuellement, justifier ce décor, à savoir la tirade de Scapin sur la justice est, comme souvent, crachée d’une traite sans en concevoir la juste valeur. On s’en débarrasse rapidement sans savoir qu’en faire. Et on laisse le spectateur perplexe.
Et pourquoi Géronte se met-il à chanter du Richard Cocciante ? Est-il amoureux ? Où est passée la fermeté des pères ? C’est déjà délicat de les faire jouer par des comédiens du même âge que leurs fils, mais alors là, on efface toute autorité de ces figures, et donc presque tous les enjeux du texte. D’autant que les comédiens ne semblent pas bien dirigés : l’énergie qu’ils mettent pour incarner les différents personnages rend leur jeu efficace, mais ils n’ont aucune nuance, hurlent leur texte, et n’y font pas passer grand chose. Ils font le pari que les changements de rythme ou d’intonation sur un petit « miskine » rajouté à la volée suffira à convaincre…
Pas moi, en tout cas.