" Le bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil. " (Abraham Lincoln, 1856).
Ce mardi 9 avril 2019, près de 6 millions de citoyens israéliens votent pour désigner les 120 députés de leur XXIe Knesset. Ces élections législatives auraient dû avoir lieu le 5 novembre 2019 mais une rupture de coalition a fait anticiper les élections.
L'État d'Israël est un régime parlementaire, on pourrait même préciser, un régime d'assemblée. Une seule assemblée, la Knesset, élue à la proportionnelle intégrale dans le cadre d'une unique circonscription, nationale, avec un seuil de représentation de 3,25% des suffrages exprimés. C'est un véritable régime des partis, certes bien meilleur qu'un régime de parti unique, mais qui a l'inconvénient d'être particulièrement instable quand un parti majoritaire ne représente pas la moitié de l'électorat, ce qui est de plus en plus le cas dans nos démocraties postmodernes.
À l'origine, le parti travailliste représentait pendant longtemps (de 1948 à 1977, jusqu'à l'arrivée de Menahem Begin) le parti majoritaire avec des scores électoraux souvent supérieurs à 40%, ce qui rendait la gouvernance compatible avec ce mode de scrutin qui avantage la dispersion du paysage politique (les listes étant "bloquées", les têtes de liste sont sûres d'être élues si la liste franchit le seuil de 3,25%).
Mais aujourd'hui, il est quasiment impossible, pour un parti, d'atteindre 40%. Par exemple, dans la Knesset actuelle, élue le 17 mars 2015, le parti le plus fort électoralement est le Likoud (centre droit et droite), mais il n'a obtenu que 23,4% des voix, soit seulement 30 sièges sur 120, c'est-à-dire seulement la moitié de la majorité absolue nécessaire à assurer une stabilité pour gouverner. Les autres partis ont recueilli moins de 20% des voix et dix partis sont représentés à l'assemblée.
Ainsi, l'Union sioniste, qui était une coalition composée des travaillistes, de centristes et d'écologistes, dirigée par Isaac Herzog, était arrivée en deuxième place avec seulement 18,7% des voix (24 sièges), Liste unifiée d'Ayman Odeh (extrême gauche), en troisième position avec 10,6% des voix (13 sièges), Yesh Atid d'Yair Lapid (centristes) a recueilli 8,8% des voix (11 sièges), Koulanou de Moshe Kahlon (centristes) 7,5% des voix (10 sièges), etc.
Depuis très longtemps, le paysage politique d'Israël est donc éclaté et les gouvernements ne tiennent qu'en raison d'un accord de coalition entre plusieurs partis. Comme sous la Quatrième République française, cela donne de l'importance considérable aux petits partis (ici religieux), une importance disproportionnée si l'on regarde leur audience électorale. Du reste, l'Allemagne a le même problème, elle aussi représentée par des députés élus à un scrutin mixte dont l'effet proportionnel amène régulièrement les leaders politiques à revenir sur leurs engagements préélectoraux, ce qui renforce les populismes.
Pour former son quatrième gouvernement le 14 mai 2015 et obtenir une majorité à la Knesset, Benyamin Netanyahou a dû conclure une alliance avec cinq partis : le Likoud (qu'il dirige), Koulanou, Le Foyer Juif, Shas et Judaïsme unifié de la Torah, l'ensemble représentant 61 sièges sur 120.
C'est une coalition hétéroclite puisque Koulanou est centriste, deux partis sont ultra-orthodoxes (Judaïsme unifié de la Torah et Shas : 13 sièges) et un autre est religieux nationaliste (Le Foyer juif : 8 sièges). Enfin, le 30 mai 2016, a rejoint la coalition gouvernementale (passée à 67 sièges sur 120) Israel Beytenou (6 sièges), parti créé et dirigé par Avigdor Liberman (ancien membre du Likoud et plusieurs fois ministre depuis 2001), qui est un parti populiste et national-conservateur.
Depuis 2015, cette coalition est instable, tant en personnes qu'en partis. Ainsi, le Ministre de la Protection environnementale Avi Gabbay, nommé au titre du parti centriste Koulanou, a démissionné du gouvernement le 31 mai 2016, et surtout, a démissionné de son parti Koulanou pour rejoindre le parti travailliste qu'il a conquis, puisqu'il le préside désormais depuis le 10 juillet 2017 (succédant à Isaac Herzog). À ce titre, Avi Gabbay est devenu le principal rival de Benyamin Netanyahou, dirigeant la coalition de centre gauche contre l'actuelle coalition.
Mais cette défection personnelle n'a pas eu d'incidence sur le gouvernement puisque Koulanou est resté dans la coalition. En revanche, Israel Beytenou, le parti d'Avidgor Liberman, a finalement quitté le gouvernement le 14 novembre 2018 car il s'est opposé au cessez-le-feu conclu avec le Hamas dans la bande de Gaza qu'il a considéré comme une " capitulation devant le terrorisme ". Ce départ a rendu la majorité très fragile (61 sièges sur 120) et tributaire des caprices des partis religieux. Quelques semaines plus tard, un désaccord avec les partis ultra-orthodoxes (représentant 13 sièges) a fait éclaté la coalition. Les députés ont voté le 26 décembre 2018 leur auto-dissolution et l'anticipation des élections législatives au 9 avril 2019. Pendant ces trois mois, le gouvernement de Benyamin Netanyahou gère les affaires courantes et ne peut plus proposer des réformes.
Une nouvelle coalition s'est formée le 21 février 2019, appelée Bleu et Blanc (les couleurs du drapeau israélien), résultat d'une fusion de trois partis, et représentant 11 sièges dans la Knesset sortante. Cette nouvelle alliance centriste est placée sous la direction de Benny Gantz, chef d'état-major de Tsahal (l'armée israélienne) du 14 février 2011 au 16 février 2015, qui a fondé l'un des partis alliés le 27 décembre 2018 (Résilience pour Israël). Benny Gantz n'avait eu aucune activité politique avant le 27 décembre 2018 et veut ainsi concourir aux élections législatives du 9 avril 2019.
Par ailleurs, l'actuel Ministre de l'Éducation et de la Diaspora, Naftali Bennett, ancien collaborateur de Benyamin Netanyahou et ancien membre du Likoud, était devenu président du Foyer juif le 6 novembre 2012, et est resté son leader jusqu'au 29 décembre 2018 où il a quitté ce parti avec deux autres membres, dont l'actuelle Ministre de la Justice Avayet Shaked, pour créer le nouveau parti Nouvelle Droite qui a 3 députés sortants. Cette scission provient de la perspective des élections législatives pour faire plus pression sur Benyamin Netanyahou.
Comme on le voit, la vie politique israélienne est très compliquée, les petits partis étant souvent créés par des dissidents de plus grands partis pour se faire entendre, pour avoir plus de poids politique, ce que le scrutin proportionnel renforce.
Quelles sont les tendances pour ces élections du 9 avril 2019 ?
Si l'on se fie aux derniers sondages (ils sont nombreux en cette période électorale), Benyamin Netayahou pourrait être relativement rassuré sur les chances de remporter une nouvelle fois les élections, malgré les scandales financiers qui l'ont touché. En effet, les sondages donnent sa coalition de centre droit gagnante avec entre 63 et 69 sièges (sur 120). Son parti seul, le Likoud, est crédité de 28 à 32 sièges, soit environ la représentation qu'il a actuellement (30).
De plus, le Président des États-Unis Donald Trump n'a pas cessé de l'aider électoralement avec deux annonces diplomatiques majeures dont une récente : la reconnaissance des Américains de la souveraineté israélienne sur le Golan (le 24 mars 2019), ainsi que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et le transfert de Tel-Aviv à Jérusalem de l'ambassade des États-Unis en Israël (annoncé le 6 décembre 2017, réalisé le 14 mai 2018). Le Président du Brésil Jair Bolsonaro a, lui aussi, renforcé le leadership international de Benyamin Netanyahou par sa visite à Jérusalem le 1 er avril 2019.
Le principal concurrent du Premier Ministre sortant, la coalition de centre gauche incluant les travaillistes et la nouvelle alliance Bleu et Blanc, serait, selon les sondages, en retard, avec seulement entre 51 et (pour les plus optimistes) 58 sièges sur 120, alors qu'au début du mois de mars 2019, les sondages lui attribuaient plus de sièges que la coalition de Benyamin Netayahou. Le parti travailliste seul n'aurait qu'entre 8 et 10 sièges, selon les sondages, soit nettement moins que dans la configuration actuelle (19 sièges).
La surprise viendra peut-être de la nouvelle alliance centriste Bleu et Blanc qui serait créditée par les sondages de 29 à 32 sièges, ce qui est beaucoup pour une nouvelle formation, même si, au début du mois de mars 2019, des sondages lui donnaient jusqu'à 38 sièges. Bleu et Blanc serait donc au coude à coude avec le Likoud pour être la première formation politique. Ce ne serait probablement pas assez pour gouverner, mais l'enjeu pourrait être le suivant : si la coalition de Benyamin Netanyahou est capable ou pas d'obtenir la majorité absolue.
Si la coalition de centre gauche faisait le meilleur score, ou s'il n'y avait aucune majorité, il serait probable que ce ne seraient pas les travaillistes qui dirigeraient le prochain gouvernement israélien, mais la nouvelle formation Bleu et Blanc dont le leader, le général Benny Gantz pourrait devenir Premier Ministre. Dans ce cas, il ne serait pas le premier ancien chef d'état-major à diriger un gouvernement car il y a eu Yitzhak Rabin et Ehud Barak (et d'autres chefs d'état-major ont eu des postes politiques très importants, comme Ministres de la Défense, ce qui fut le cas de Moshe Dayan et Shaul Mofaz).
Si, au contraire, la coalition de centre droit et de droite gagnait de nouveau ces élections législatives, Benyamin Netanyahou, qui est Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009 (réélu le 18 mars 2013 et le 6 mai 2015), pourrait dépasser le record de longévité au pouvoir détenu actuellement par le fondateur de l'État d'Israël, David Ben Gourion, Premier Ministre du 14 mai 1948 au 26 janvier 1954 et du 3 novembre 1955 au 26 juin 1963. Le 9 avril 2019, Benyamin Netanyahou aura effectivement dirigé un gouvernement israélien pendant 13 ans et 27 jours, soit 100 jours de moins que David Ben Gourion.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Poisons et délices de la proportionnelle.
Les enjeux des élections législatives israéliennes du 9 avril 2019.
Golda Meir.
La lutte contre l'antisémitisme est l'affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l'État d'Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d'Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190331-legislatives-israel.html
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-la-democratie-en-israel-214005
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