Le titre est une expression découverte lors de ma lecture de l'article de Rainer F. Buschmann : "Albert Hahl and the colonization of the ethnographic frontier" dans son ouvrage de 2009 intitulé Anthopology's Global Histories. Elle fait référence aux décorations de l’État allemand (fièrement arborées sur la poitrine coté gauche) que les responsables coloniaux en poste en Nouvelle-Guinée recherchaient, parfois plus que l'argent, et qui les motivaient à fournir des objets ethnographiques pour les grands musées de la métropole.
Albert Hahl, gouverneur de la Nouvelle-Guinée allemande de 1902 à 1915 avait bien compris ce processus et l'exploitait afin de contrôler et récompenser le travail des coloniaux placés sous ses ordres.
Dans l'histoire des collections océaniennes, j'ai évoqué principalement des figures de collecteurs, celles de personnalités saillantes des grandes expéditions, mais rarement ces personnages qui ont joué un rôle considérable dans les collectes, et ce bien souvent en dehors des compagnies commerciales qui se sont lancées dans la recherche d'objets ethnographiques à des fins commerciales et de propagande.
Albert Hahl, en qualité de gouverneur, fut bien placé pour jouer un rôle important dans ce tableau, d'autant plus qu'il était très au fait des recherches et des méthodologies en anthropologie allemande, et échangeait ses points de vue avec les responsables de plusieurs musées.
Ainsi, si Malinowski fut le premier à mettre en pratique un "travail de terrain" dans les Trobriands, Albert Hahl fut, bien avant lui, convaincu par cette nouvelle "méthode".
L'intérêt d'Albert Hahl pour l'ethnologie n'était probablement pas qu'une simple et frivole passion, mais en lien avec sa fonction : il y avait un déclin démographique avéré et une demande croissante de main-d'œuvre de la part des compagnies commerciales allemandes à laquelle il fallait répondre. À ses yeux, l'anthropologie pourrait fournir des informations à cet égard.
Quoiqu'il en soit, Albert Hahl était opposé à la politique de centralisation des objets ethnographiques adoptée par le musée de Berlin sur la demande de Félix Von Luschan car il s'était aperçu que ce dernier ne re-distribuait pas les objets vers les autres musées allemands. C'est ainsi qu'il s'adressa directement à Karl von Linden et que nous retrouvons maintenant de nombreux artefacts sous la mention "Albert Hahl" à Stuttgart...
Il reçut également Richard Thurnwald, l'un des premiers ethnographes qui s'installa en Nouvelle-Guinée allemande malgré sa mission commanditée par Luschan pour le compte du musée de Berlin. Les deux hommes travaillèrent ensemble sur des questions d'administration coloniale établie dans le nord de la Nouvelle-Bretagne et le sud de Bougainville. Ainsi tous les deux naviguèrent-ils à bord du Seestern lors de tournées d'inspection du gouverneur, et les deux hommes rapportèrent des objets de ces voyages. On compte notamment, parmi les plus impressionnants, des Uli de Nouvelle-Irlande.
Source : Rainer F. Buschmann, 2009, Anthopology's Global Histories. The Ethnographic Frontier in German New Guinea, 1870-1935, University of Hawai'i Press.
Photo 1 : Masque-amulette du Bas Sepik, îles Schouten. Collecté par Albert Hahl, présentée par La Galerie Meyer à TEFAF 2014.
Photo 2 : Statuette, Murik. Collectée par Albert Hahl puis ayant appartenu au Linden Museum Stuttgart, vente Sotheby's 10 décembre 2014.
Photo 3 © Museum für Völkerkunde, Berlin.
Photo 4 : Masque, Nissan, © Metropolitan Museum 1978.412.1518.