Si la mondialisation et la concurrence effrénée à l‘intérieur même de l’Europe tirent sans cesse les salaires vers le bas, une autre cause de la baisse du pouvoir d’achat est la suppression du dispositif indexant les salaires et les retraites sur le taux d’inflation…
Près de 9 millions de personnes vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté (1 026 € par mois pour une personne seule) selon l’INSEE. Cela représente près d’un ménage sur sept, les familles monoparentales étant les plus touchées. 2 millions de salariés sont payées au SMIC (1 521 € bruts au 1er janvier 2019, ce qui correspond en moyenne à 1 201 € nets, soit à peine un peu plus que le seuil de pauvreté). Loin d’être bien lotis, 30 % des salariés à temps plein (hors intérim) touchent un salaire inférieur à 1,3 SMIC (1 977 € bruts, soit 1 561 € nets).Ce bas niveau des salaires est naturellement aggravé par l'inflation, même si celle-ci est plus faible aujourd'hui que dans les années 80. Les produits de première nécessité (dont on ne peut se passer) augmentent régulièrement, ce qui grignote sans cesse le pouvoir d'achat des ménages.Le tournant de 1982 et la suppression de l’échelle mobile des salairesLes pouvoirs publics et le patronat ont pris l’habitude de proposer, dans leurs secteurs respectifs public et privé, un pourcentage d’augmentation des salaires, retraites, allocations familiales, etc. presque toujours inférieur à l’indice des prix Insee qui est lui-même déjà sous-évalué. Ce scénario se reproduit cahin-caha, depuis qu’en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, la gauche a opéré un tournant historique. Dans la Fonction Publique, l’Etat bloqua les salaires qui avaient suivi l’évolution des prix les années précédentes. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à faire de même en faisant évoluer les salaires en fonction non de la hausse réelle des prix, mais du taux d’inflation « prévu » par le gouvernement. Les clauses d’indexation des salaires sur les prix furent une à une retirées des conventions collectives dans les années qui suivirent. Les lois Auroux réaffirmèrent leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords ». Autre conséquence de l’interdiction de la réévaluation automatique des salaires en fonction de l'inflation, le salaire d’embauche est de plus en plus souvent inférieur au SMIC dans les branches professionnelles. Une prime dite « résorbable » est alors versée aux salariés concernés mais sans toucher aux salaires supérieurs au SMIC, cette pratique est responsable d’un tassement continue des salaires vers le bas de l’échelle depuis le début des années 80.Enfin, les montants des pensions, prestations ou allocations versées par divers organismes (caisses de retraite ou d'invalidité, CAF, Assurance chômage, etc.) n'augmentent plus en fonction du taux d'inflation, à l'image des salaires de la Fonction publique dont le point d’indice est purement et simplement bloqué ou des retraites complémentaires ARRCO et AGIRC dont la valeur du point est également gelé depuis plusieurs années.
Cette non indexation systématique a même des effets catastrophiques sur les épargnants qui possèdent un livret A. Son taux d'intérêt est de 0,75% quand l'inflation se monte à 1,8% en 2018. Le livret A ne représente que 5,2 % du patrimoine financier des ménages, mais c’est là où se trouve placée presque toute l’épargne de ceux qui, dans les milieux populaires, parviennent à mettre un peu d’argent de côté : 4 375 euros en moyenne. Rogner sur les taux d’intérêt du livret A signifie que ces petites économies chèrement acquises sont encore moins protégées de l’inflation (perte de 1,05% par an).
Pourtant, une réintroduction de l’indexation automatique des salaires et de tous les autres avantages, datant de juillet 1952 sous la présidence de Vincent Auriol (SFIO), protégerait efficacement le pouvoir d’achat des Français. L'échelle mobile des salaires existe dans plusieurs pays d’Europe comme la Belgique et le Luxembourg. Elle peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil ou ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées). Elle existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation constatée. De plus, l'échelle mobile des salaires favorise une solidarité entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent alors se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires, puisque l’indexation automatique garantit uniquement la compensation de la baisse du pouvoir d’achat. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat favorise aussi la consommation et donc la croissance économique. Contrairement à ce que pensent tous ces pseudo-consultants qui professent à longueur d’année sur les plateaux radio-télé ou les grands organismes économiques comme l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) et le Fonds Monétaire International (FMI), une réintroduction de l’échelle mobile des salaires en France ne nuirait pas au développement économique et ne favoriserait pas non plus l’inflation basée sur l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours des mois précédents. Ces " experts économiques " ont tendance à confondre les notions de réelle augmentation des salaires (supérieure au taux d’inflation) et de simple ajustement des salaires suite au mécanisme d’indexation (égal au taux d’inflation).Aujourd’hui suite au grand débat national, si Emmanuel Macron voulait au moins préserver le pouvoir d'achat des couches modestes et moyennes, à défaut de l'augmenter, il lui suffirait simplement de rétablir le principe de l'indexation annuelle automatique des salaires par rapport à l'inflation…
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