«Confort». À en croire certains – de plus en plus nombreux –, le chômage serait donc un bienfait, une situation enviable en quelque sorte, presque un «statut» privilégié que les citoyens, massivement bien sûr, aspireraient à conquérir, tel un graal… Vous en doutez? Mais que voulait signifier l’ineffable Muriel Pénicaud, alias ministre du Travail, en déclarant qu’«un chômeur sur cinq perçoit plus au chômage qu’avant», ce qui, sans surprise, a depuis déclenché une bien belle polémique? À la décharge de la susnommée, rappelons que, fin février, lors du début de la reprise en main de l’assurance-chômage par le gouvernement, le premier ministre en personne, Édouard Philippe, avait déjà expliqué qu’il fallait que «le travail paye toujours plus que le chômage». Même allusion ; identique méthode ; semblable phraséologie. Résumons. Pour la ministre, le taux de remplacement supérieur à 100% d’un salaire antérieur serait une sorte de «norme» inacceptable. Pour l’hôte de Matignon, ce système aurait – cela va sans dire – pour conséquence de maintenir les sans-emploi dans le «confort» du chômage. Nous connaissons l’histoire par cœur: chassez le naturel, il revient toujours en marche! Mac Macron avait prévenu, en débitant ses vœux pour 2019, que l’exécutif renforcerait les sanctions encourues par les chômeurs qui ne «recherchent pas suffisamment un emploi». Les idées pourrissent toujours par la tête: encore et toujours la stigmatisation des sans-emploi, tous accusés d’être des fraudeurs ou des profiteurs. Résultat, la chasse est ouverte, les radiations s’enchaînent, entraînant des précarisations rampantes. D’autant que, et ne l’oublions jamais, affirmer que le chômage paye mieux que le travail est un mensonge éhonté!
Précaires. Depuis quelques jours, nous assistons même à une guerre des statistiques. Tenez-vous bien. Après les propos de Mme Pénicaud, l’Unédic a réagi illico, rectifiant le chiffre de l’ex-directrice des ressources humaines (sic) du groupe Danone. Selon l’organisme, seuls 4% des chômeurs peuvent percevoir une indemnité supérieure à leurs anciens salaires. Pris à rebours, les services gouvernementaux ont activé leurs réseaux, jusqu’à ce que Pôle emploi vienne confirmer les chiffres «officiellement» délivrés par l’armada macroniste. Ne soyons pas naïfs. Pôle emploi est certes un opérateur public, mais sous contrôle et assez peu indépendant. L’Unédic, elle, est un organisme géré par les syndicats et le patronat. En vérité, cette bataille chiffrée est éminemment politique. Sauf que nos bonnes âmes donneuses de leçons de l’appareil d’État oublient une donnée fondamentale. En ne tenant compte que des données de Pôle emploi (contestables, mais passons), une question se pose: qui sont les 21% de chômeurs percevant censément plus de 100% d’allocation par rapport à leur dernier salaire? Réponse: les précaires. Les personnes concernées sont celles, en effet, ayant eu une activité professionnelle «très morcelée». «En moyenne, leur nombre total de jours de travail correspond, mis bout à bout, à environ sept mois», explique Pôle emploi. Vous l’avez compris, nous parlons là de l’explosion du nombre de contrats très courts. Outre que se référer à un chiffre de «un chômeur sur cinq» reste invérifiable et sujet à controverse, le raisonnement globalisant relève de la démagogie et, encore une fois, de la stigmatisation des sans-emploi. Partant de la logique que l’assurance-chômage indemnise les salariés lorsqu’ils ne travaillent plus sur la base de ce qu’il gagnait avant, à quoi joue le gouvernement? À nous préparer à sortir progressivement de cet indicateur pour aller «vers une logique de complément résiduel aux revenus salariaux, en faisant au passage des économies sur les salariés les plus flexibles et les plus précaires», comme le dénonçait cette semaine le sociologue Mathieu Grégoire dans le Monde. Le bloc-noteur ne saurait mieux l’exprimer. Alors, une fois n’est pas coutume, citons Camus: «Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti.»
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 5 avril 2019.]