Travaillant depuis peu au Château de Monbazillac, je ne pouvais résister longtemps à aller voir ce qui se passait chez l'un de ses plus proches voisins: Tirecul la Gravière. J'avais fait la connaissance de la Cuvée Madame 2003 lors d'une belle soirée normande, et j'en avais gardé un très bon souvenir. Je me rappelais également d'un article de Jérôme Perez sur LPV qui avait vanté le sens de la perfection des propriétaires, Claudie et Bruno Bilancini.
Rendez-vous fut donc pris avec Bruno Bilancini pour une découverte approfondie du domaine et de ses vins. Après une discussion autour de mon expérience monbazillacaise (je découvre alors qu'il a également travaillé pour la cave coopérative), nous faisons une ballade dans les vignes.
Les vignes sont implantées dans un archithéâtre de verdure dominant la vallée de la Dordogne. L'exposition Nord-Nord-Est et le sol argilo-calcaire permettent un mûrissement lent mais continu du raisin. Cela se ressent particulièrement dans les vins blancs secs qui conjuguent avec élégance maturité et fraîcheur (hélas souvent inconciliables).
Les traitements de la vigne se font dans l'esprit du bio (soufre, cuivre, insecticides naturels). Les sols sont travaillés en général un rang sur deux. La seule entorse vient du désherbage chimique effectué entre les pieds de vignes : trop de galère avec ce sol très argileux, soit trop collant, soit dur comme du béton, et une herbe qui pousse dru et vite. Il faudrait la couper au moins 6 fois par an!
Les 7 hectares de vignes sont composées de sémillon et de muscadelle (50/50 environ). Exit le sauvignon qui ne se plait guère sur ces terres - grande mortalité précoce - et dont les arômes n'emballent guère Bruno Bilancini. Les deux cépages sont utilisés autant pour les blancs secs que pour les liquoreux et donnent dans les deux cas des vins atypiques en Aquitaine. Difficile de trouver des Bordeaux et des Bergerac blancs sans sauvignon, mais aussi des liquoreux aussi riches en muscadelles!
Retour à la maison pour une dégustation exhaustive des vins du domaine ( y compris certains non disponibles à la vente aux particuliers). La surprise vient moins des liquoreux - qui se sont évidemment montrés à la hauteur de leur réputation - que des blancs secs qui m'ont scotché par leur pureté et leur minéralité.
Mademoiselle 2007: un hymne à la muscadelle (100%) élevée en cuve pour préserver sa pureté. Le nez est sur la pêche, avec des notes de pierre "fumée", d'écorce d'orange. Bouche de belle ampleur, ronde, d'une fraîcheur remarquable. Mais le plus frappant est cette sensation presque huileuse - dûe à la concentration en sels minéraux- que l'on retrouvera dans la plupart des vins, et une finale saline persistante.
Andréa 2005 (muscadelle-sémillon): nez mûr, presque confit, plutôt discret, ne préparant pas à ce qui va suivre. Bouche de très grande ampleur d'une pureté et d'une finesse incroyables. Un vin d'esthète. Qui finit comme il a commencé, en douceur. Avec persistance toutefois.
Tirecul la Gravière 2002 (sec, sémillon & muscadelle): nez évolué sur la truffe blanche, le miel de châtaigner, l'écorce d'agrume. En bouche, vous êtes emmenés en terra ingognita, tant au niveau des saveurs que de l'ampleur, de la texture... Et la finale vous tombe dessus sans que vous vous y attendiez, tel un boomerang, dense, prégnante, avec une mâche qui vous rappelle que le vin est issu de sols calcaires. Un vin à ne pas mettre dans toutes les bouches, car il peut vraiment déranger...
Marguerite 2007 (dominante muscadelle): nez friand, muscaté et floral. Bouche ronde, gourmande, pulpeuse: on croque dans le raisin! La finale mâchue, épicée, montre toutefois qu'il ne faut pas s'arrêter au côté flatteur de ce vin : y a une belle matière!
A peine remis de cette belle série, nous passons aux liquoreux, issus uniquement de raisins botrytisés (même dans les années où il y en a soi-disant peu ou pas, comme 2003).
Les Pins 2005 (issue des moins bons lots du domaine): nez sur les raisins secs, le miel. Bouche grasse, onctueuse, avec beaucoup d'élégance et de droiture. Jolie fraîcheur. Finale gourmande avec toujours cette sensation "huileuse".
Tirecul la Gravière 2000: aux yeux de Bruno Bilancini, la moins bonne année de Tirecul. Un cauchemar à la vigne. Pas au nez, fleurant bon les fruits secs et l'encaustique. Bouche d'une belle ampleur, oncteuse, aux arômes de caramel et d'épices. Finale persistante.
Tirecul la Gravière 2003: robe d'un beau doré. Nez d'une grande complexité sur les fruits exotiques et les agrumes confits. Bouche riche, éclatante, avec une onctuosité et une fraîcheur ... je vous dis que ça! C'est gras, voluptueux. Mais je n'ose en dire plus, car je vais dire quoi, de celles qui vont suivre, et qui surpassent encore celle-ci de plusieurs têtes???!!!
Cuvée Madame 2003: celle-là, je l'ai déjà goûtée, mais dans un contexte moins favorable (à table, tard, après des vins rouges puissants et un vin à caractère oxydatif). Au départ, le nez part sur des notes d'acidité volatile, mais très vite, l'orange confite prend le dessus, puis les épices, la cire... La bouche est superbe. De la soie qui se déroule sans fin sur le palais. D'une richesse superlative, et en même temps d'un équilibre impressionnant. La magie du botrytis.
Pris dans son élan, Bruno sort d'une façon impromptue une Madame 2001. Pas vraiment à température idéale. Mais c'est à cela que l'on se rend compte de l'équilibre inoui de ce vin. Même à température quasi ambiante, aucune sensation de lourdeur ni de sucrosité. Un nez magnifique, une bouche encore plus immense que la version 2003. Une texture de rêve. On est bien en face de l'un des plus beaux liquoreux de la planète!...
Avant de partir, je voulais également visiter les installations techniques. C'est très vite fait. Au rez de chaussée, quelques cuves utilisées pour le débourbage des moûts et l'assemblage avant mise. Et au sous-sol, quelques dizaines de barriques. Habitué aux chais médocains, j'ai l'impression que celui-ci est vide... En même temps, il faut être logique: avec 7 hectares de vignes et un rendement de 10hl/ha, ça ne fait pas lourd de vin ;o)
Comme à chaque visite de vigneron, on ne voit pas le temps passer. Tellement de choses à se dire. A partager. J'ai bien sûr ramené quelques jolis flacons à la maison. C'est pas que j'ai vraiment les moyens en ce moment, mais ça relève de la nécessité intérieure : IL FAUT que je fasse découvrir ces bouteilles à mes proches, mes amis. Car je peux écrire autant de lignes que je veux dans ce blog pour en vanter les mérites. Rien ne vaudra une dégustation.
Merci à Bruno Bilancini pour son accueil chaleureux :o)