— Si les bonnes intentions faisaient de bons livres, nul doute que nous nous trouverions, ici, en face d'un « très bon livre ». Mais, disons-le d'emblée, M. G. procède d'une manière qui ne risque guère de convaincre ses lecteurs ; ou plutôt disons que les thèses soutenues par l'A. auront toutes les chances d'emporter l'adhésion des convaincus d'avance. Par contre, si l'on recherche la cohérence de l'analyse, l'objectivité, la clarté et la lucidité ; encore plus le respect de la dimension historique dans l'analyse des problèmes, on a toutes les chances de « rester sur sa faim », et de refermer cet ouvrage, certes pétri de bonnes intentions, avec le sentiment que les « promesses » de M. G. n'ont pas été remplies. L'A. part de postulats sur lesquels on ne le chicanera pas : le « modèle occidental » de croissance et de civilisation a abouti à une série d'interrogations et d'impasses : économiques, sociales, politiques, culturelles, morales (encore que l'A. ait eu trop tendance à « noircir le tableau »). Devant ce « mal développement planétaire », il faut chercher des remèdes qui ne assortissent pas uniquement au domaine du matériel : nos sociétés doivent « sauver leur âme » ; et les solutions du développement et de l'industrialisation ont fait faillite à beaucoup d'égards. « Un nouvel ordre culturel mondial, c'est le passage de l'hégémonie occidentale à la concertation planétaire pour redéfinir un projet humain » (p. 21). La solution, R. G. l'a découverte dans un retour à ce qu'il considère comme les deux pôles indivisibles de l'Islam : « la transcendance (c'est-à-dire au moins la possibilité permanente de rupture avec les dérivés du passé et du présent, et de la création d'un avenir inédit) et la communauté (c'est-à-dire la conscience que chacun de nous est personnellement responsable de l'avenir de tous les autres... » (même page). C'est là que nous adresserons notre reproche essentiel à l'A. : pour mieux plaider sa cause, il a recours à un véritable « amalgame », faisant fi de l'histoire, de l'esprit d'analyse, du sens critique. Au gré de ses besoins, il « navigue » des principes à la réalité, et contraint ses lecteurs à un véritable parcours sinueux, où tout est placé pêle-mêle, où tout l'héritage de l'Orient est subtilement baptisé « Islam ». M. G. reproche aux « orientalistes » (tous frappés du sceau d'infamie d'avoir été les serviteurs zélés du colonialisme) d'avoir forgé une image faussée de l'Islam ; et il n'a pas tout à fait tort. Encore fallait-il ne pas pécher par l'excès inverse, en se « choisissant » un Islam sur Revue de l'Histoire des Religions, cc-3/1983 Notes bibliographiques 343 mesure, qu'il se garde bien de définir, au demeurant, car sinon tout son bel édifice risquait de s'écrouler. Il y aurait de longues pages à écrire pour énumérer les contradictions de l'A. et ses affirmations contestables. On se limitera à quelques brèves remarques : il n'est pas sain de désigner sous le même vocable d' « Islam » un ensemble d'idées-forces relevant d'une révélation et d'une tradition sacralisée ; et les formes qu'ont prises, au gré des circonstances, les sociétés dites musulmanes, formes qui, bien souvent n'eurent que de très lâches rapports avec le donné traditionnel (et ceci n'est évidemment pas propre au seul Islam) ; et la réflexion de savants et de philosophes ; et la problématique du monde arabe contemporain. Cet « amalgame » conduit notre auteur à des aberrations : une image « idéalisée » du proto-Islâm où les schismes et les « trop humains » intérêts sont recouverts du manteau de Noé ; les poncifs classiques sur la dynastie umayyade responsable des déboires de la Communauté ; les conquérants arabes présentés comme des libérateurs de populations opprimées, et les protagonistes d' « un renversement d'un système social périmé » (p. 39) ; une contre-vérité criante : « Si la guerre n'est pas exclue, elle n'est acceptée que pour la défense de la foi lorsque celle-ci est menacée, et non pas pour la propagation de la foi par les armes » (p. 40) ; l'Islam ramené, quand les besoins de la cause l'exigent, à un idéal né des aspirations irréalisées de mystiques et de moralistes, à tel point qu'on se demande si Islam et Soufisme ne sont pas synonymes ; les sciences profanes, souvent développées au grand dam des théologiens, présentées comme les sciences islamiques, alors que celles-ci sont opportunément « oubliées » par l'A. ; l'affirmation que la poésie arabe contemporaine (y compris celle de poètes chrétiens) est « islamique » ; l'amalgame pays arabes/oPEP/Islâm ; la fréquente comparaison des réalisations historiques de l'Occident avec les principes (fort idéalisés au demeurant) de l' Islam. Est-ce loyal ? Et l'on pourrait multiplier les exemples. En fait, l'A. n'aura guère innové par rapport aux thèses apologétiques qui ont cours dans certains milieux musulmans, et qui font bon marché de la vérité historique ou, plus exactement, choisissent dans l'histoire ce qui est à leur convenance. Il aurait fallu distinguer « Islam idéal » et « Islam vécu », comme on le dirait d'ailleurs pour n'importe quelle religion ou doctrine. Et pourtant comme on est d'accord avec M. G. lorsqu'il aspire à dénoncer les impostures qui ont longtemps eu cours sur la religion musulmane, comme on souscrit à son appel, sincère, au dialogue des civilisations et à s' « enrichir de nos mutuelles différences ». Pour ce faire, il aurait peut-être fallu ne pas offrir un tableau manichéen, un paysage en noir (Occident) et blanc (Islam) ! On attendait mieux de M. G. qui est, à l'accoutumée, mieux inspiré et plus critique. [compte-rendu] Alfred Morabia Revue de l'histoire des religions Année 1983 200-3 pp. 342-343
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Roger Garaudy, Promesses
de I'Islam, Paris, Le Seuil, 1981, 190 p.
« A partir d'une véritable mutation
culturelle rendue possible par un dialogue de civilisations, nous
réapprendrons, en relativisant notre culture occidentale et en retrouvant ce
qu'il y a de vivant dans les cultures non occidentales, à concevoir et à vivre
de nouveaux rapports avec la nature, avec les autres hommes, avec l'avenir de
la foi », écrit Roger Garaudy. C'est un plaidoyer généreux, humain par sa
ferveur et scientifique par sa rigueur et sa démonstration. Tel est cet ouvrage
qui met l'homme au centre de ses préoccupations et les complémentarités
culturelles au fil de sa perspective. Л a complètement démonté toute la
mystification sur laquelle vit encore l'Occident non débarrassé de son œdipe
colonial à l'égard de l'Islam. Celui-ci est traité dans ses aspects culturels
et sociaux beaucoup mieux sans doute que ne l'aurait fait un musulman lui-même.
Roger Garaudy fait passer, sans le déformer, un message souvent inaccessible
aux non-musulmans, en ayant magistralement recours aux matériaux culturels et
dialectiques occidentaux. La méthode didactique qu'il emploie en fait aussi une
œuvre « pédagogique ». C'est dire que cet ouvrage n'est pas seulement utile aux
Occidentaux auxquels il s'adresse, mais aussi aux musulmans eux-mêmes. La
rencontre de ceux qui le liront n'en sera que plus aisée.
Revue Tiers Monde Année 1982 91 p. 708
https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1982_num_23_91_4163_t1_0708_0000_3?q=garaudy Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Divers auteurs, Islam, Roger Garaudy