Les mooks, périodiques à mi-chemin entre le magazine et le livre, ont fait récemment une apparition remarquée dans le paysage médiatique français. Ils constituent une version renouvelée de la revue : ils contrent la tendance des médias de masse tout en conservant les codes de la revue et les adaptant à la société moderne. Ils constituent un véritable espace de renouveau du journalisme littéraire et un terrain d’expérimentation éditoriale.
D’abord réservé à l’exploration de thèmes de société, les mooks se sont de plus en plus démocratisés, et visent désormais également un jeune public. C’est le cas de la revue Ramdam, dont le premier numéro vient de paraître aux éditions Fleurus. A cette occasion, les lecteurs Babelio ont été conviés à une rencontre privilégiée avec trois membres de l’équipe : Solène Chardronnet (journaliste au Monde des ados et rédactrice en chef de la revue), Anaïs Rougale et Juliette Magro (toutes deux éditrices chez Fleurus).
Ramdam est un bel objet livre à destination des adolescents entre 11 et 15 ans, filles et garçons sans distinction de genres. Le titre du magazine, « Ramdam », signifie buzz, boucan, vacarme, et il semble être plutôt bien parti pour faire du bruit dans la scène éditoriale jeunesse. Parution semestrielle, il contient des interviews, des témoignages, des dossiers pour approfondir des thématiques, des DIY, du contenu interactif… Une véritable encyclopédie pour les adolescents !
Renouveler le magazine jeunesse
Durant la rencontre qui s’est déroulée dans les locaux de Babelio, Solène Chardronnet, rédactrice en chef de la revue, a évoqué la genèse du projet : on a fait appel à elle pour discuter du lancement d’un ouvrage à destination des adolescents, un véritable challenge qui l’a immédiatement motivée. Elle s’est demandé de quelle façon elle pourrait donner vie à ce nouveau projet, pour que celui-ci ait une forme singulière et inédite : « On ne voulait faire ni de la presse, ni du livre, mais quelque chose d’interactif, de nouveau, avec lequel l’ado puisse jouer, réfléchir, faire des tests. Ce n’est pas habituel de gribouiller dans les livres ! » Les éditrices de Ramdam espéraient offrir quelque chose de nouveau à leur public. Le mook, par son aspect hybride et inclassable leur semblait idéal : ne répondant pas aux contraintes du journalisme traditionnel, il laisse beaucoup de libertés, et permet de développer davantage les sujets traités. C’est justement la qualité de l’information, profonde et détaillée, qui pousse de plus en plus de lecteurs à se tourner vers ce format de publication.
Un objet culturel qui se joue des codes
Volumineux ouvrage au graphisme punchy savamment étudié, ayant banni toute forme de publicité et paraissant à un rythme semestriel, la revue Ramdam est reconnaissable au premier coup d’œil et frappe par son originalité : « Il y a un effet de collection, quelque chose qui frappe dans la couverture, on repère une forme, un objet. » En plus de proposer des dossiers développés, on y trouve également des sujets traités plus brièvement pour les lecteurs qui auraient plus de difficultés à se plonger dans la lecture. Comme le souligne Solène Chardronnet : « Ces lecteurs vont pouvoir y entrer par les photos, les courts articles, ils pourront trouver différentes entrées de lecture. » Chacun peut ainsi y puiser des idées, des activités, et de nouveaux projets à mettre en œuvre !
Pour les éditrices, la question du numérique s’est bien évidemment posée. De nos jours, pour attirer les adolescents, il faut utiliser les ressources internet à notre disposition : « Il y a de nombreux aspects qu’on va développer sur le numérique avec Ramdam, on a une boîte mail sur laquelle les ados peuvent poser des questions, on est en train d’approvisionner nos réseaux sociaux. Les ados sont principalement sur Internet, il faut aller les trouver là où ils recherchent l’information et les ramener sur Ramdam. » Cependant, le constat est sans équivoque, Ramdam ne fera jamais le virage « entièrement numérique » : « L’intérêt principal de Ramdam est l’interactivité qu’il ne faut surtout pas perdre, cela demanderait un développement numérique conséquent pour conserver la même interactivité, sur format numérique comme sur format papier. » Ce développement du digital ne doit pas dévier de l’objectif premier lors de la création de la revue : celui de ramener les enfants vers le papier, vers la matérialité de l’objet livre, et leur proposer une pause apaisante et bienfaitrice.
Le mook aborde de nombreux sujets sensibles de façon humoristique et décalée : les rédacteurs apportent toutes les réponses aux questionnements des adolescents dans des dossiers complets et exhaustifs tout en dédramatisant les tabous de famille. Solène Chardronnet rappelle que « lorsqu’on a des enfants proches de nous, certains sujets sont délicats à aborder. Cette barrière est saine, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut éviter d’en parler. Les ados sont extrêmement démunis, ils cherchent des endroits où avoir des réponses. Pour éviter qu’ils arrivent sur des sites qui ne seront pas respectueux de l’enfant et de leur sensibilité, nous avons décidé d’en parler dans notre revue ». Ainsi, si les adolescents vont vers un sujet, comme la sexualité ou le harcèlement (deux grands dossiers ont été consacrés à ces thématiques pour ce premier numéro), l’information aura été fiable, vérifiée, et adaptée à leur âge, quel que ce soit leur niveau de maturité. Solène Chardronnet invite toutefois les parents à faire confiance aux adolescents, et à les laisser évoluer à leur propre rythme : « Si quelque chose ne les intéresse pas, ils y reviendront probablement après. Il est important de leur laisser cette marge d’indépendance et de liberté. » Ouvrir une porte, mais ne pas forcer la discussion…
Parler la langue des ados
Ramdam, c’est une voix particulière, une voix adressée à l’adolescent et pensée pour lui : « Parler directement avec des mots simples, mais aussi une certaine distanciation par les dessins et l’humour. » Pour les éditrices de Ramdam, l’enfant est une personne à part entière, capable de comprendre déjà beaucoup de choses. Durant la création du projet, elles se sont entourées de spécialistes des enfants, et ont notamment été relues par un médecin qui fait de l’initiation à la sexualité dans les collèges. « Les ados ont des questions, je peux vous l’assurer. N’hésitez pas à laisser traîner la revue, ils y trouveront des réponses qui pourront vous rassurer. » Donner la parole à des adolescents, et inviter le lecteur à s’exprimer à son tour, c’est aussi une des préoccupations centrales de l’équipe : « Notre Ramdam a été relu par des stagiaires de 3e. Ils ont été mis à contribution de manière informelle. J’aimerais qu’on ait une communauté Ramdam où les ados soient mis à contribution. » Ainsi, la revue peut servir de pont et instaurer un dialogue rassurant pour l’enfant, comme pour le parent.
Ramdam, c’est une voix, mais aussi un ton particulièrement positif, avec des témoignages écrits à la première personne, des portraits croisés de jeunes qui ont changé le monde, autant de modèles et de sources d’inspiration dans lesquels piocher. Pour Solène Chardronnet : « Le ton positif est une priorité, une manière de faire grandir le jeune. » Si les témoignages parlent tellement aux adolescents, c’est justement car ils ancrent le sujet dans une réalité : « C’est une histoire, on se projette dans cette histoire, c’est peut-être la mienne. On entre dans ces témoignages. L’auteur a écrit avec sa sensibilité. »
Un livre à soi
Parmi les questions et les nombreux retours positifs des lecteurs conquis, une maman lectrice s’est interrogée sur le concept même de la revue : si son aînée écrit dans le livre, répond aux quiz, la cadette ne pourra pas lire la revue… La rédactrice en chef a répondu que toute la volonté de Ramdam résidait justement dans l’appropriation de l’objet. « L’aînée n’aura pas envie que sa sœur voie ses réponses, c’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle ne l’investit pas » : la revue Ramdam est conçue comme un objet qu’on s’approprie, une sorte de journal intime que l’on parcourt, dans lequel on pioche, on écrit, un livre qui accompagne l’adolescent. Afin de permettre une graphie plus aisée, le choix du papier a été bien réfléchi : les éditrices ont opté pour un papier offset agréable, avec une bonne prise en main. Les typographies, toutes originales ont été créées par une typographe. Travail d’équipe, cohésion et énergie ont permis de créer une véritable fédération autour de ce projet. Pouvoir s’approprier le livre, s’y exprimer pleinement et librement, c’est bien là que réside toute l’originalité de la revue Ramdam
Bonne nouvelle : les dates de parution des prochains numéros de Ramdam sont déjà prévues. Comme le disent les éditrices Anaïs Rougale et Juliette Magro : « L’idéal serait d’en faire deux par an, et de continuer jusqu’en 2040, sinon, c’est pas marrant ! »