Magazine Société
579° Boy Erased, l’enfer des thérapies de conversion.
Publié le 30 mars 2019 par Jacques De BrethmasBoy Erased est avant tout un film sur l’aveuglement de la religion, la négation de la nature même par la foi aveugle, un documentaire où l’on comprend que l’intégrisme et la radicalisation rongent toutes les religions, y compris celles qui peuvent nous sembler familières et inoffensives.
Avec un petit plus propre à la religion américaine : On y comprend d’emblée que là-bas, un temple, une église n’est rien d’autre qu’une entreprise commerciale, prête à tout pour séduire sa clientèle, attirer sur ses bancs les fidèles d’en face, et pratiquer le populisme le plus effrayant pour augmenter le chiffre d’affaire.
Les Européens ont du mal à imaginer qu’aux USA, tout tourne autour de la religion. Lorsque vous aménagez dans un nouveau quartier, vos voisins ne vous demandent pas quelle est votre profession, mais quelle église vous allez fréquenter. N'importe laquelle fera l'affaire, ce n'est que si vous n'allez dans aucune que vous aurez du mal à vous intégrer.
Cela paraît quasiment normal pour un Américain, aussi, le film ne s’attarde-t- pas trop sur cette démonstration. Dommage pour son impact à l’exportation.
En effet, la scène où le père du héros, pasteur baptiste, réalisant enfin qu’il ne changera pas la nature de son rejeton, déplore d’avoir travaillé toute sa vie pour « construire une entreprise qu’il espérait lui léguer afin qu’il en vive confortablement» constitue, pour nous, européens, un choc supplémentaire dans la perception du phénomène...
Le réalisateur, Joël Edgerton, s’est réservé le rôle de l’odieux maître de ballet de la cure de thérapie, s’entourant de Lucas Hedges pour interpréter le jeune homme, de Russell Crowe pour le papa-pasteur, de Nicole Kidmann dans le rôle de la maman, et même de Xavier Dolan qui incarne, dans un rôle secondaire mais très acide, l’un des malheureux patients au côtés du héros.
L’une des premières scènes donne le ton et le niveau de l’argumentation des « formateurs ». Pour démontrer que l’homosexualité n’est pas innée, mais choisie, l’enseignant demande à la classe qui joue au football, puis à l’élève qui s’est hasardé à lever le doigt : « Est-ce que tu es né footballeur, où t’es-tu décidé un jour à te mettre au football ? »…
Tout dans la dialectique des « déformateurs » est du même acabit, l’argument ultime étant bien sûr que dieu peut tout pardonner à celui qui se repent et revient dans le « droit chemin »… L’amour de dieu pèse lourd, très lourd, dans cette maladroite pédagogie, qui prétend éradiquer tout à la fois et de la même manière l’alcoolisme, la drogue, l’appartenance à un gang, la tabagie et l’homosexualité. L’élixir du docteur Jésus serait un remède universel…
Une des scènes, trop courtes, mais décisives, est celle où l’on fait avouer au patron du stage de conversion qu’il ne possède aucun diplôme, ni médical, ni psychiatrique, ni d’aucune sorte, et qu’il n’est le que la patron d’une entreprise commerciale qui vent à prix d’or (3000$) un traitement de choc essentiellement fait d’humiliation publique et de lavage de cerveau.
Encore une fois, pareille révélation choque moins les Américains, pour qui tout est commerce, que nous, Européens, qui rangeons encore naïvement les institutions de spiritualité au rayon associatif, alors que si chez nous, elles restent peu commerciales, elles deviennent par contre abusivement politiques.
Et pourtant, nous ne sommes pas trop mal protégés, puisqu’en Europe, pareilles pratiques entreraient immédiatement dans le cadre d’un comportement sectaire caractérisé et tomberait sous le coup de la loi.
Définitivement, aux USA, tout est entreprise, et aucun législateur ne se hasarderait à trier, parmi les propagateurs de doctrines, le bon grain de l’ivraie… Il n’existe là-bas aucune loi contre les sectes et les débordements religieux, premier amendement oblige…
Il faut voir Boy Erased comme un documentaire hallucinant sur les ressorts profonds de l’homophobie qui, dans ce pays qui fait feu de tout bois, peut être à la fois un produit commercial, un argument politique, et même une vocation professionnelle pour certains illuminés qui pratiquent et répandent cette discrimination avec zèle et ostentation pour se voiler à eux-mêmes les sentiments homophiles qui les tourmentent.
Et si après cela, vous estimez encore la religion , n’importe laquelle, propre à éclairer votre entendement, à satisfaire votre spiritualité et à conduire vos actes sur le chemin de la vie… personne ne peut plus rien pour vous.