Mais le Vedânta prône la réalisation de la non-dualité entre Moi et l'absolu par la négation de tous ce qui distingue le Moi de l'absolu, c'est-à-dire le monde et le corps. Pour le Vedânta, le corps est une tromperie et les plaisirs des sens sont comme des crocodiles impitoyables. Le corps est un cadavre et tout ce qui peut le raviver est à fuir : les femmes, les enfants, les plaisirs, les arts, la vie en général. Seul l'intellect est valorisé car il permet l'éveil à la non-dualité. Et encore, sa position est ambiguë : il est tantôt décrié, tantôt vaguement célébré comme organe de l'éveil. Cette vision du corps se retrouve dans le néo-advaita : le corps est une illusion, de même que la politique, la morale et tout ce qui fait l'humanité en général. De plus, le néo-advaita, influencé par l'hédonisme anti-intellectuel d'Osho, voue en même temps un culte au corps et à la jouissance individualiste. Bref, pas très cohérent ni très équilibré.
La Pratyabhijnâ, au contraire, intègre le corps. Les facultés sensorielles et mentales sont les divinités qui créent le monde, ou du moins qui créent sur la base de la création commune, universelle, car la Pratyabhijnâ n'affirme pas que tout soit subjectif, contrairement aux génies du New Age.
Cette célébration éclate par exemple dans un hymne attribué à Abhinava Goupta, l'Hymne à la roue des divinités qui habitent le corps (Deha-stha-devatâ-cakra-stotra), en quinze stances qui chantent l'amour de chaque faculté. Contrairement au Vedânta, le corps n'est pas méprisé. Contrairement au néo-advaita New Age, l'intellect n'est pas méprisé. En épousant ce mouvement d'adoration, on se sent intègre, loin des lubies castratrices des uns et des autres.
Je célèbre l'absolu de félicité,
débordant de conscience,lui que les divinités des facultés
adorent dans le lotus du cœur
avec les offrandes de leurs propres jouissances. 3
Je célèbre cette absolue de félicité,
qui est pensée,
et qui sans trêve joue au jeu
de la manifestation, de l'existence et de la délectation
de toute chose/ de l'univers. 5
Je me prosterne sans cesse
devant la déesse Brahmanî,
- l'intellect - qui,
installée sur le pétale à l'est
du lotus du cœur,
offre les fleurs de la certitude. 6
Je célèbre la déesse Koumârî
- le mental - qui,
installée sur le pétale au sud du lotus du cœur,
adore l'absolu avec les fleurs du doute. 8
Je salue ainsi la roue des divinités
resplendissantes
qui habitent mon corps,
toujours présentes,
toujours proches à l'intérieur,
essence de l'expérience. 15