Dimanche 1er avril 2034. Ce n'est pas un poisson d'avril. Ce matin, les médias européens annoncent le rachat des vestiges de PSA par la filiale automobile du géant chinois AliBaba. Dans la foulée, ce dernier prépare la fermeture des derniers sites du constructeur sur le continent, seule la marque ayant pour lui une quelconque valeur. Les commentateurs s'interrogent : comment en est-on arrivé là ? Seuls quelques-uns se souviendront de la décision suicidaire qui a tout déclenché, vers la fin de l'hiver 2019…
Un article du quotidien Les Échos signale en effet la révélation faite par son patron Carlos Tavarès, à l'occasion du salon de l'automobile de Genève, que PSA abandonnait ses développements en matière de voiture (pour les particuliers) totalement autonome et se contenterait d'offrir des capacités avancées de conduite assistée (exigeant que le conducteur puisse reprendre le contrôle à tout moment) ou, éventuellement, des véhicules sans pilote opérant dans des espaces restreints (taxis, navettes…).
Les motivations de cet arrêt brutal sont particulièrement consternantes. Tout d'abord, outre des réserves sur la faisabilité, les coûts d'investissement nécessaires pour aboutir à une technologie opérationnelle sont considérés comme excessifs, surtout dans un contexte qui requiert aussi des efforts pour la transition vers les énergies vertes. Plus explicitement, Carlos Tavarès estime que le prix exorbitant des voitures autonomes en réserveraient l'accès à des personnes qui s'offrent déjà les services d'un chauffeur.
C'est à croire que ni les dirigeants ni aucun responsable important de l'entreprise n'ont entendu parler de la loi de Moore (qui se porte plutôt bien, en dépit de sa fin annoncée régulièrement). Il ne devrait pourtant faire absolument aucun doute que les capacités de calcul qui permettront de gérer la conduite sembleront dérisoires dans quelques années, comme le rappelle la comparaison entre la puissance de calcul d'un smartphone et celle qui a envoyé les premiers hommes sur la lune il y a seulement 50 ans.
Nous retrouvons là, d'une certaine manière, la manifestation d'un symptôme classique des grands groupes historiques : les femmes et les hommes qui sont aux commandes, vétérans de l'automobile et de l'industrie, manquent terriblement de culture « digitale ». Ajoutons à cette lacune l'absence de vision stratégique à long terme (remplacée par une focalisation sur les résultats trimestriels), qui constitue un frein puissant sur les investissements lourds et risqués, et les conditions du désastre futur sont en place.
Pour faire bonne mesure, l'argumentaire n'évite pas la tarte à la crème de la réglementation et de la législation, dont il faudrait croire que, parce qu'elles ne sont pas définies à ce jour, la voiture autonome ne pourra jamais rouler sur nos routes (le mot « rédhibitoire » est cité par Les Échos) ! Cependant le message doit être décrypté, car on perçoit bien, derrière ces déclarations péremptoires, que point surtout l'inquiétude du constructeur quant à sa responsabilité en cas d'accident causé par ses logiciels. Et voilà encore un domaine entièrement inconnu qu'il faudrait appréhender…
Il n'est certes pas question de minimiser les défis à relever, dont la plupart sont plus ou moins directement liés, comme dans tant d'autre secteurs, à la « digitalisation » de l'activité. Mais faut-il renoncer à les relever, en espérant naïvement qu'ils disparaîtront par enchantement ? Ou prendre conscience que la révolution est inéluctable – comme la dessine Tesla en Californie ou l'engagement massif de la Chine dans le développement de l'intelligence artificielle – et que la rejoindre est un simple enjeu de survie ?
Je prends ici l'exemple de PSA mais, apparemment, ses principaux concurrents sont sur la même ligne. Alors quand, dans 10, 20 ou 30 ans, nous aurons tous adopté des voitures autonomes chinoises ou californiennes pour nous déplacer confortablement et en toute sécurité – incidemment, avez-vous remarqué que, à aucun moment dans les explications fournies, ne sont évoquées les attentes des utilisateurs ? – qui faudra-t-il blâmer, hélas trop tard, pour l'effondrement d'un pan complet de notre industrie ?