Ivre, le bateau qui remontait le fleuve,
Eclaboussé d’écume.
Ivres, les marins, qui chantaient et dansaient,
Sur le pont de tous les espoirs.
Ivre aussi, le capitaine,
La main sur une cuisse nue
Et qui cherchait l’éternel port.
Il remonte le fleuve, le grand navire,
Sous un soleil radieux
Et fend de son éperon les eaux boueuses des dernières pluies.
Dans les cales, tous les tonneaux sont en perce
Et le vin noir coule dans les jarres.
Il vogue vers la source, le beau bateau,
Tandis que dans la forêt, des yeux noirs le regardent passer.
Les voiles claquent, effrayant les grands oiseaux tapis dans les roseaux.
Dans sa cabine, le capitaine a déposé son couteau cranté.
Il caresse l’esclave à la peau brune,
Enlevée hier dans un village de la côte.
Il lui murmure des mots étranges et improbables
Et cherche dans les broussailles
Sa blessure primitive.
En a-t-il connu des deltas
Et même des triangles des Bermudes,
Mais maintenant, il s’agit de remonter le temps
Jusqu’aux origines du monde.
Les cheveux noirs et fous,
Le regard sombre,
La peau incroyablement nue et brillante,
Cette sirène possède toute la beauté du diable…
Il caresse une courbe, se désaltère à la source,
Mais ne voit pas la main brune qui tâtonne et s’empare du couteau.
Arrêté dans sa course, le navire s’est immobilisé dans la mangrove.
Sortant de l’ombre, dix indiens nus avancent sur leur pirogue.
Ils portent sur le front l’insigne vengeur du dieu du fleuve.