Pour les professionnels des grosses maisons de disques, notamment ceux qui bossent dans ce qu'on appelle le " catalogue ", il y a des moments dont on se souvient pour toujours. Ces histoires de chef de projet à la recherche de bandes perdues ou dégradées d'album jamais sorti d'artistes majeurs, il y en a quelques unes aux fins plus ou moins heureuses. On peut penser à l'album incroyable d'Alain Bashung sorti il y'a quelques mois, ou encore à la petite foirade artistique qu'est l'album posthume de Johnny Hallyday. Mais aujourd'hui c'est particulier, Motown nous offre un album entier de Marvin Gaye avec presque uniquement des titres inédits. On vous explique.
Passée la première surprise de lire album inédit de Marvin Gaye, on peut avoir ce réflexe de blasé de se dire " ouais encore une raclade de fond de tiroir avec des bootlegs tout pétés remixés par Jean-Michel Platine ". Il n'en est rien ici. You're the man est un vrai album, d'excellente facture. Enregistré juste après le chef d'oeuvre What's going on en 1972.
Pourquoi aujourd'hui ? Parce qu'à l'époque, et on l'a déjà souvent évoqué dans notre émission " Musicologie " sur Rinse France, Berry Gordy, alors à la tête de Temla Motown, était plus du genre consensuel à faire des chansons de lover qu'activiste à dénoncer les inégalités et les violences de la guerre. Problème: Marvin Gaye n'avait plus vraiment envie de s'y cantonner et comptait bien faire passer ses messages, notamment à son président républicain qu'il voulait interpeller sur sa politique conservatrice, va-t'en-guerre et interventionniste. Oopsy, le boss de Motown, après avoir accepté de lâcher le single qui donnera son nom à l'album, refuse la sortie de ce dernier pour raison politique...
Mais, la Motown fêtant ses soixante ans (et, on aime à le penser, la Maison Blanche ayant un locataire au moins aussi merdique), le label a décidé de finalement dévoiler cette pépite engagée qui est déjà un classique. On hésite alors entre en vouloir au label d'avoir attendu aussi longtemps pour lâcher cette bombe, et se laisser complètement couler dans un océan d'excitation, d'extase et de satisfaction indicible. Comme vous pouvez le constater, on a tranché : on en pleure des larmes de joie.
On reparlera de cet album, c'est sûr. Mais l'heure est au recueillement, à la communion solennelle. Alors on coupe tout, on s'installe bien, et on profite de ce qui restera le dernier chef d'oeuvre d'un des plus grands chanteurs de soul de tous les temps. Cheers.