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(Note de lecture), Marion Richard, Désirer danser, par Pascal Boulanger

Par Florence Trocmé

RichardCinq séquences de poèmes splendides aux vers amples ponctuent ce premier recueil poétique de Marion Richard. Cinq chants aboutis, travaillés par l’introspection et qui semblent souffrir de la séparation des choses et aussi d’un paysage de ruines intimes se mêlant aux ruines du monde :
« Vous accrochez chaque matin nos draps / éclatants dans le vent de vos villes ruinées »
C’est parce que le poème ne peut pas se dérober à la puissance du négatif que l’authenticité d’une traversée humaine s’inscrit dans le dévoilement. Le courage poétique signifie alors qu’il faut être capable de fixer le regard sur l’obscurité, tout en percevant, dans la nuit du monde, une autre nuit – plus lumineuse celle-ci – qui se tourne vers nous, dans un faisceau de lumière renversée. Il y a, dans ces poèmes,  qui m’ont fait penser parfois aux « hymnes à la nuit » de Novalis, une attention et une valorisation du nocturne. La nuit, pour Marion Richard, semble nous purifier en s’évadant de la clôture du jour. La nuit apaise et s’adresse à une nouvelle science des couleurs et des sons, à l’esprit d’enfance qu’on a  perdu dans l’affolement des événements. Elle défie l’impossible du réel, son agonie de gestes, elle est comme un rameau d’or à l’entrée des enfers :
« La nuit / parmi les arbres blancs de lune / j’avance à pas plus lents et je déploie mon cou / Le jour, il est comme plié pour le bourreau / et je regarde mes souliers / qui sont jaunes avec des fleurs coupées / Dans le blanc de la nuit / je prends la taille de mon ombre, / j’ai les pieds nus des funambules, / les étoiles croustillent
Le réel du poème se rattache aux secousses de nos vies précaires et ce qui se murmure, dans les larmes, doit bien pouvoir se dire dans la lumière déchirée de la nuit. Car c’est  une vallée de larmes que nous sommes invités à entendre dans cette voix marquée par la déréliction. Marion Richard, en rendant compte des discordances, travaille le lieu poétique de la kénose. Clapotis d’écume, eau et sang, larmes… la liquidité et l’épanchement (l’eau-néant –l’eau des larmes qui creuse le sacré du visage, comme a pu le formuler Jean-Pierre Richard à propos de certains poèmes de Jaccottet) font du poème l’espace d’un effondrement et d’une souveraineté. Mais un effondrement contraire à toute rétention et qui, à l’inverse, se déploie musicalement, comme dans ce poème extrait de la séquence : « Saut d’un félin dans le silence » :
« Au-dehors   ils faisaient de la musique
Ils grimpaient aux arbres avec leurs mains vivantes et leurs pieds nus
Avec leurs mains vivantes ils pressaient des fruits mûrs
Dont le sucre au soleil empoissait leur menton.
   Leur visage était grand ouvert et cela n’était pas d’un coup de couteau.
Ils parlaient d’une voix qui chantait de très loin
   Et moi
   depuis la brume
   j’entendis leurs chansons.
Alors
d’un grand effort qui me coûta mes larmes
je décrispai les os de mes doigts desséchés
et j’agitai les barreaux de ma cage
   parce qu’il fallait bien que l’on rythmât leur danse. »
Il ne s’agit pas d’illustrer un concept – celui de la détresse par exemple – mais de le rendre sensible par une parole explicite. Le poète endure l’effroi autant qu’il l’accueille, comme un fauve enfermé agitant les barreaux de sa cage. « Tout s’effondre en des fontaines nues de larmes » (Pierre Jean Jouve) dans les poèmes de Marion Richard. Néanmoins, aux lisières des yeux, ce sont bien des clairières qui surgissent, dans la gloire de l’aube, quand la rage s’est apaisée et que, délié, on se dégage de l’accompli pour mieux renaître :
« Pure,
je le suis comme la forêt
dans la gloire de l’aube ;
lieu de toute naissance
Pascal Boulanger

Marion Richard : « Désirer danser », encres de Sophie Brassart, Revue NUNC / Editions de Corlevour, 2019, 93 p., 15€.


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