Au-delà du déni flagrant des entreprises françaises vis à vis de la situation de guerre dans laquelle elles se trouvent face à leurs concurrents américains, chinois, indiens ou européens, il y a un autre constat plus navrant qui explique le manque de transformation « gagnant » et qui est directement lié au jeu de pouvoir au sein de ces mêmes entreprises. Institutionnellement, les grands groupes industriels ont toujours vu s’affronter la R&D ou le département « Produit » à la direction commerciale.
Mais depuis une dizaine d’année, ce sont les contrôleurs de gestion, responsables de la profitabilité à court terme des actionnaires, qui ont contribué à fragiliser l’action stratégiques des sociétés. Et ce alors que nous affrontons des Chinois qui déploient sans faillir un plan stratégique à 100 ans écrit par Mao avec une constance, qui en fait à mon sens un modèle d’Etat résilient. A court terme, tout le monde pensera que ce propos est erroné, mais à l’échelle du temps des pratiques de guerre économique, on se rend compte que les Chinois tiennent leur objectif à long terme comme un marin remonte au plus près face à un vent contraire.
Les Américains ont développé une stratégie commerciale claire : c’est celui qui a le moins de tort qui est légitime pour gagner. A partir de ce constat élémentaire, ils ont développé tout un tas d’outils intelligents ( juridiques et financiers les derniers en date) – au sens intelligence économique de l’emploi – qui leur permette d’arriver à leur fins. Cet armada cognitif a modifié la nature de la guerre économique. Si les pratiques illégales perdurent ainsi que l’expression d’une certaine forme de violence, y compris par le biais de conflits armés limités, les stratégies d’influence cognitive, d’encerclement de marché et de mise sous dépendance des Etats affaiblis industriellement, deviennent peu à peu les éléments clés de la victoire durable. Dans les pays développés, la conquête des positions dans le monde matériel se vérifie de plus en plus par la capacité à attaquer sur le terrain légal.
Mais c’est dans la conquête du monde immatériel que se vérifie de manière déterminante cette nouvelle forme cognitive de la guerre économique. Le principal champ de bataille est désormais celui de la DATA et des plateformes . Une fois de plus ce sont les puissances conquérantes qui sont à la manœuvre comme le démontrent les péripéties sur l’affrontement sino-américain autour de l’affaire HUAWEI. Dans cette course à la suprématie dans l’économie numérique, les Américains et les Chinois se disputent le contrôle du terrain pendant que les Français ou les Européens sont encore à espérer d’être l’ « ami » du vainqueur.
En résumé à l’instar des grandes forces présence, la capacité de résilience de nos sociétés, de notre gouvernement ou de notre Union européenne dépend des facteurs suivants :
- Avoir conscience de cette mutation majeure de la guerre économique.
- Avoir suffisamment d’ambition et de grandeur pour ne pas abandonner les objectifs stratégiques à long terme pour des résultats éphémères à courts ou à moyen terme.
- Se donner les moyens de ses ambitions et aller les chercher dans des alliances ou dans la métamorphose des appareils d’Etat . Le rapport du faible au fort n’existe pas en Chine, et je ne suis pas sûr qu’il fonctionne avec un Poutine ou un Trump.
- Plus que jamais la plume est plus forte que le glaive : surtout à l’époque de Twitter et de Facebook, qui sont dans de mauvaises mains les nouvelles armes de destruction massive : la communication d’influence est la première arme de résilience des sociétés et des Etats – et nous sommes souvent absents du champ de bataille dans ce domaine.
Le but du programme Segor, initié par l’Ecole de Guerre Economique sur la résilience, est de familiariser les futurs décideurs avec toutes les armes qui peuvent être utilisées contre ou par eux, de manière à leur permettre quelque que soit l’attaque ou l’enjeu, de revenir en un temps très court à un état proche de l’initial ou à fonctionnement nominal toujours orienté sur le même objectif à long terme.
Stéphane Werbrouck
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