De toute évidence, plusieurs polémiques récentes avec des gens comme Guy Birenbaum, Jean-Marc Morandini ou Jean-Michel Apathie ont eu raison de la patience du blogueur. Mais il serait à mon avis malhonnête de ne pas reconnaître que, depuis déjà plusieurs semaines, le cœur semblait ne plus y être. J’en avais fait mention dans l’une de mes notes, on sentait bien chez Versac un certain malaise et un certain spleen, qu’il avait surtout exprimé ici à l’occasion de son "cinquième anniversaire".
Je n’ai pas du tout envie de parler au nom de, ou à la place de, ou de tirer des enseignements généraux d’une situation particulière et qu’il faut de toute façon respecter, mais il me semble que cet événement peut inspirer quelques réflexions autour de ce que j’appellerais le "paradoxe du blogueur".
1/ ETRE LU OU PAS ? JUSQU'A QUEL POINT ?
Je pense que c’est la question de fond lorsqu’on ouvre un blog. Qui dit ouverture de blog dit, a priori, envie de communiquer avec quelqu’un (en général un "quelqu’un" abstrait). Donc, potentiellement, envie d’être lu par au moins une personne – et si c’est davantage c’est encore mieux. Dans ces conditions, l’un des risques est ensuite d’avoir beaucoup de lecteurs, quitte à en avoir tellement qu’on devient à un moment donné populaire et, selon le mot à la mode (qui est évidemment absurde car disproportionné), "influent".
Or, dans le système médiatique qui est le nôtre, plus on a de succès, plus on parle de vous : et l’on a donc encore plus de succès. Du coup les journaux, télés, radios, commencent à s’intéresser à vous. Ce qu’on appelle un "buzz" se met en place et ça commence à tourner en boucle. Jusqu’au tsunami. On finit donc par en arriver à cette situation paradoxale et à la limite de l’absurde : regretter d’être trop lu. Car qui dit "trop" dit aussi "mal" : d’où les simplifications, les instrumentalisations, les citations tronquées, voire les attaques et autres diffamations.
Dans tout cela, j’ai quand même envie de remarquer quelque chose : ça n’a absolument rien de spécifique aux blogs ! C’est strictement la même chose dans n’importe quel champ d’expression, qu’il soit artistique ou politique. Je ne veux surtout pas faire de parallélisme hors de propos, mais qu’est-il arrivé à Kurt Cobain, sinon qu’il a été dépassé par son succès et qu’il n’a pas su ou voulu le gérer ?
Bref, Versac s’est retrouvé pris au piège de la notoriété et, face à ce piège, il a fini par jeter l’éponge. Mais toujours est-il, je le répète, que nous sommes au cœur du paradoxe (et en disant cela je ne veux surtout pas dire que Versac a tort) : toute personne qui s’exprime souhaite être entendue, sauf qu’elle est parfois exaucée, mais à un point tel qu’elle n’a plus aucun contrôle. Du coup que se passe-t-il ?
2/ QUE DIRE ? COMMENT LE DIRE ?
L’autre axe central du paradoxe du blogueur, c’est le contenu de son discours. En choisissant un contenu politique, le blogueur a d’autant plus de chances d’être lu et repris. La politique est un domaine sérieux et noble, mais c’est évidemment le contenu le plus polémique possible. Versac a fait un travail structurant et pionnier sur la blogosphère en la matière : parler de "République des blogs" était un acte fort et important qui a permis une prise de conscience, dans certaines sphères, que l’Internet et les blogs n’étaient pas que de la merde.
Toutefois, et toujours selon la même logique, ce discours de "sérieux" a fini par être repris en boucle par tous les grands médias traditionnels (les dernières présidentielles ont été un tournant en la matière), certains pour le contester, d’autres pour le valider, mais dans tous les cas il en a été dit et écrit des tonnes, jusqu’à ce que ça finisse par devenir énervant, contre-productif et presque vain (dernier cas d’école en date : Ingrid Betancourt).
L’expression publique a ceci de particulier qu’elle vous engage forcément, parfois même à votre corps défendant. Dans ces conditions, plus on est lu, disséqué, commenté, plus il devient délicat de s’exprimer de façon juste, contrôlée, canalisée. Il y a donc ce que vous produisez, qui n’est presque plus rien par rapport à ce qui est produit autour de ce que vous produisez : à tel point que ce sont les commentaires qui structurent tout, alors qu’ils ne sont censés être que des matériaux de seconde main. Là encore, typiquement, le blog et le blogueur jouent sur cette logique et cette contradiction jusqu’au point de rupture. Car non seulement les commentaires sont autorisés et même ardemment souhaités, mais en plus la logique du billet "court" et "impulsif" va contre la possibilité de tout dire, clairement, soigneusement, et donc renforce la possibilité de sur-interpréter, déformer, voire carrément tronquer.
A mon avis, ce sont sur ces deux paradoxes que Versac a fini par buter. Il a d’ailleurs fait lui-même, dans les deux posts que j’ai cités, aveu de cette frustration à ne pas pouvoir dire plus, dire mieux : "Et puis, il ne faut pas se le cacher, bloguer en disant des choses intéressantes nécessite, sinon du temps, du moins de l'attention et la concentration minimale pour donner." "Ce sera un nouveau genre, des billets plus fouillés et professionnels."
Toujours est-il que dans un monde où tout est sans arrêt simplifié, caricaturé, où la distinction entre vrai et faux a de moins en moins d’importance, où l’irrationnel retrouve une importance qu’à un moment donné il avait peut-être un peu perdue, je pense qu’il serait suicidaire de croire qu’on peut s’exprimer en étant toujours bien lu, bien entendu, bien compris, surtout dans le cadre d’un blog. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas tout faire pour atteindre cet objectif.
> Sur l’herméneutique des blogs : voir mon article Narcisse parle
> Sur le pourquoi de ce blog : voir ici et ici