C’est d’abord la musique qui m’attire au fond de la salle noire du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris(jusqu’au 14 septembre) , Leonard Cohen tout au fond. A ce moment la vidéo s’arrête, l’image se fiche sur l’autoportrait ci-contre. Il faut courir jusqu’au premier écran de la salle où une autre vidéo de cinq minutes commence aussitôt : là, c’est ‘Take a walk on the wild side’. Arrêt au bout de cinq minutes, image fixe, désorientation, troisième écran, troisième musique : Nick Cave.
Mais ce n’est pas que la musique qui nous retient là, devant ces vidéos de Joël Bartoloméo, ce sont les images, leur traitement, leur pertinence. Chacun des trois films est basé sur un montage d’images, les unes images fixes, de presse ou trouvées, que l’artiste manipule devant la caméra, les faisant défiler à mains nues, avec la maladresse la plus évidente, comme en battant des cartes; les autres sont des images de lui, autoportrait filmé en gros plan. intense, tragique, avec parfois un panoramique sur la pièce banale où il se trouve. Cette tension entre ces deux modes permet aux images de presse, images publiques, de pénètrer dans l’intimité privée de l’artiste comme du spectateur, d’y devenir obsédantes, pesantes, lourdes.
Et ces images sont loin d’être innocentes. Dans Little Snow White (ci-dessus, 5mn 29, 2006), enchantés par Leonard Cohen, nous sommes au milieu de mythes qui s’entremêlent, Blanche Neige, Le Petit Prince, la chèvre de Monsieur Seguin. Autre mythe, ‘Marie L.’, sur le premier écran, débute sur un recueil où, après des pages blanches, apparaissent des photos (rayées, tachées, oblitérées) de l’affabulatrice du RER D, qui fit croire à un acte antisémite contre elle : poids de la propagande, emballement des médias et des politiques, concert de protestations bien orchestrées avant que tout ne se dégonfle. Joël Bartoloméo récite à l’écran ses excuses dérisoires, comme pour mieux nous faire sentir cette mythologie qui nous enveloppe, cet asservissement des images. Après ce faux drame médiatisé, après cette ‘artiste malgré elle’, sa vidéo finit sur un vrai drame, la célèbre photo par Eddy Adams d’un VietCong tué en direct, gros plan sur le revolver sur sa tempe, l’instant avant sa mort : la photo apparaît d’abord sur un écran dans l’écran, puis devient image fixe.
The Revolver (4mn 32, 2006) démarre par des images de mur, de barrière, de soldats méprisants, de prisonniers les yeux bandés, de bombardements, de blessés; peut-être un paysage, un keffieh peuvent-ils nous situer, mais rien n’est moins sûr. On passe alors à l’intime, à l’histoire de la mort d’un père, d’un père qui voulait tuer son fils, du revolver qu’il conservait et que le fils s’approprie une fois orphelin : Ismaël ? Abraham ? ou simplement une histoire intime ? Joël Bartoloméo fait défiler devant son visage des photos d’yeux, les siens ou des images trouvées : énigme, masque, regard dédoublé, vibrant. Il cite Jean-Luc Nancy “Toute image, peut-être, est au bord de la cruauté”.
Ces ‘Autoportraits’ s’appuient sur un procédé déroutant, toujours en déséquilibre, entre sens et caché, entre public et intime, jouant sur les images dans l’image, les écrans dans l’écran, le fixe et le mobile. J’avais vu son travail là, plus concentré alors sur son ‘anthropologie familiale’ (et présenté en partie dans l’antichambre de la salle noire du musée), et j’irai certainement le revoir, à Arles peut-être.
Photos courtoisie MAMVP
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