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Les relations entre le storytelling et la manipulation

Publié le 28 mars 2019 par Dangelsteph
Les relations entre le storytelling et la manipulation

Admettons que le storytelling soit manipulateur, encore faudrait-il que cette manipulation soit contraire à des valeurs éthiques. Exploration, avec les travaux de chercheurs universitaires sur le sujet.

4 chercheurs de l'université de Jyväskylä en Finlande (Auvinen, Lämsä, Sintonen et Takala) ont publié un travail sur le sujet dans la revue scientifique Journal of Business Ethics. L'article date de 2013, mais garde toute sa pertinence, d'autant que les travaux de recherche universitaires ont la particularité de se diffuser très lentement. Je le sais pour avoir été membre d'un laboratoire de recherche en sciences humaines pendant 3 ans !

La manipulation, qu'est-ce que c'est ?

Derrière ce mot, plusieurs réalités bien distinctes, identifiées par les chercheurs finlandais. Contrairement aux idées reçues, d'une définition bien tranchée de la manipulation, ils tiennent à apporter des nuances. Habituellement, on définit la manipulation comme étant une manière non éthique d'exercer un leadership, de la part d'un manager. Pour leur étude, les universitaires se sont concentrés sur le leadership utilisant le storytelling, et c'est tant mieux, car c'est justement ce qui peut nous intéresser sur ce blog.

La manipulation est l'une des 4 formes d'exercice du pouvoir, à côté de la persuasion, la coercition (l'usage de la force) et l'autorité légitime.

Les chercheurs identifient 4 types bien distincts de manipulations dans l'utilisation du storytelling :

- la manipulation par l'humour

- la manipulation pseudo-participative

- la manipulation séductrice

- la manipulation pseudo-empathique

Et le moyen le plus simple de manipuler se manifeste par la manipulation des mots.

Quand on parle de management, par contre, d'autres notions voisines entrent en ligne de compte : le mot influence, en étroit lien avec l'exercice du leadership (et avec de plus en plus de storytelling dedans ! - c'est un constat). L'éthique du leadership concerne alors les moyens qu'il utilise et les objectifs qu'il poursuit.

De là, on peut définir la manipulation comme comme un moyen d'exercer une influence, sans que "l'influencé" ne se rende compte qu'il l'a été.

Centrale dans le management, la narration du storytelling est aussi au centre du débat sur la manipulation et l'influence, puisqu'elle fait partie intégrante des pratiques du leadership managérial moderne. En réalité, on se rend bien compte que le storytelling utilisé dans le leadership est un processus d'influence plutôt ouvert et non pas basé sur un appel à des réactions binaires instantanées. L'un comme l'autre n'exclue pas la manipulation de se produire.

Le storytelling n'a d'ailleurs pas l'exclusivité de la manipulation.

La méthodologie de l'étude des chercheurs

Les chercheurs ont interviewé, sous forme d'entretiens ouverts, 18 managers, hommes et femmes, de différents âges et profils en terme d'expérience, de différents secteurs et niveaux hiérarchiques aussi. Les interviewés ont été invités à narrer à nouveau des histoires qu'ils avaient pu raconter dans leurs organisations dans le but d'influencer leurs subordonnés. Les entretiens ont été enrichis par des interrogations sur l'image de soi des managers et leurs opinions sur les modes de leadership (démocratique/autoritaire). Tous ces détails pour montrer que l'étude est bien sérieuse, réellement scientifique.

Sur les 18 interviews, 9 ont pu être identifiées comme contenant des contenus narratifs relevant de la manipulation. Ce sont ces derniers qui ont fait partie du panel final de l'étude et, de plus, la diversité des profils était bien respectée dans cet échantillon ultime de 13 histoires manipulatrices.

Le résultat de la recherche sur le storytelling manipulateur utilisé dans le leadership

4 histoires humoristiques ont été identifiées, 2 histoires pseudo-participatives, 4 histoires séductrices et 3 histoires pseudo-empathiques : toutes manipulatrices, donc.

L'évaluation de ces histoires suivant 3 critères d'éthique a été très enrichissante : le critère des conséquences (le fin, positive, bienveillante justifie les moyens), celui des vertus des actions du leader-manager, celui des devoirs éthiques de ce dernier.

    L'une des histoires utilisant l'humour étudiées évoquait le fait que l'on peut travailler dans de mauvaises conditions si on adopte une attitude positive. Cette histoire était manipulatrice parce qu'elle faisait de la désinformation en utilisant une analogie non pertinente et très exagérée et en cherchant à générer un sentiment de culpabilité. C'est le critère éthique des conséquences qui était actif ici. Les autres histoires humoristiques (toutes dans le registre de l'humour noir) étaient de la même veine.
    Dans les histoires pseudo-participatives, le manager fait croire à son subordonné qu'il ou elle est lui-même ou elle-même engagé(e) dans ses problèmes, ses ressentiments (ce n'est pas de l'empathie, puisqu'il y a ici une dimension d'action). Dans les histoires étudiées, le manager voulait faire croire faussement à ses subordonnés qu'ils étaient eux-mêmes les auteurs d'un choix. C'est ici par la transmission de mauvaises informations que l'histoire est manipulatrice. Il y a également une dimension de vertus éthiques des actions du manager qui est en jeu.
    Dans les histoires séductrices, la transparence du discours n'est réelle que dans un sens, inutile de préciser lequel, avec une réalité présentée comme beaucoup plus positive qu'elle ne l'est. les chercheurs ont identifié l'exagération comme étant un moteur manipulatoire dans les récits étudiés, en même temps qu'un appel bien trop appuyé aux émotions de l'auditoire. La désinformation est aussi active dans ces histoires, ainsi que la diffusion de mauvaises informations. La déontologie du manager était en cause.
    La pseudo-empathie consiste à faire croire que l'on partage des émotions, des sentiments. La désinformation, la diffusion de mauvaises informations et le mensonge pur et simple étaient actifs dans les histoires étudiées par les chercheurs. La dimension "conséquences" en terme d'éthique était au premier plan. Les vertus éthiques ne sont pas non plus au rendez-vous, car le manager cherchait à minimiser certains aspects de la réalité.

Conclusion en terme de storytelling, de leadership et de manipulation

L'item éthique des conséquences est celui qui revient le plus. C'est peut-être le moins répréhensible de tous. Toutefois, les managers participant à l'étude ont tous jugé leur attitude manipulatoire comme étant négative. Il ne s'agissait pas de manipulateurs conscients de l'être. Même si certains d'entre eux poursuivaient des objectifs personnels, il y avait toujours un fort sentiment de travailler pour le bien commun qui sous-tendait leurs actions. Cela a été une stratégie d'évitement de maux bien plus graves pour l'organisation et ses membres dans la plupart des cas. Les managers étudiés se sont aussi rendu compte que la manipulation avait pu éviter la coercition dans bien des cas, ceux de messages difficiles à faire passer.

Toutefois, cela n'est acceptable que s'il n'y a pas, associé à la démarche, une intention de nuire, ou de générer de la souffrance à autrui. La manipulation n'est pas non plus sans risques pour le manager pris en flagrant délit, en terme de capital confiance, de réputation.

C'est donc également hautement contextuellement que la manipulation pourra être considérée comme acceptable ou non, d'un point de vue éthique.

Ce thème mérite des travaux de recherche supplémentaires et complémentaires.

Pour en savoir plus sur la manière de pratiquer un storytelling éthiquement acceptable


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