(Note de lecture), Eric Sautou, La Véranda, par Antoine Bertot

Par Florence Trocmé

L'entrée dans La véranda d'Eric Sautou se passe en trois temps. Le lecteur retrouve d'abord la triste circonstance qui animait l'écriture des deux précédents livres : « En souvenir de Marcelle Sautou / (1928-2014) ». Le recueil poursuit ainsi une poésie travaillée par la disparition de la mère. Pourtant, l'épigraphe de la page suivante peut surprendre « Tu apparais / La vie est certaine ». Dans ce contexte, les mots de Cesar Moro s'entendent comme une adresse à la mère : son retour, par le souvenir, aurait cette force de rendre à la vie orpheline sa certitude, son sol – à moins qu'il ne faille considérer ces vers comme une affirmation passée qui dirait, par contraste, la fragilité de cette vie maintenant. Enfin, une troisième page nuance les précédentes. Au centre, ces deux lignes :
« Voix du rêve, dis-moi ton nom –
(mais Voix-du-Rêve ne peut rien) »
Le nom et le prénom de la mère laissent place à un « nom » inconnu ou bien oublié, que le locuteur aimerait simplement connaître ou entendre à nouveau. Or cette « Voix du rêve », à la lisière de la conscience, ne révèle rien, en reste à elle-même. Ainsi, en trois pages et quelques mots est tracé l'espace du recueil, entre souvenir et effacement, évidence d'une présence et de sa disparition. Plus sensiblement encore, « Voix-du-Rêve » est liée, par ses sonorités, à la véranda, lieu entre-deux, intime et ouvert. 
Dans la véranda donc, une voix féminine et perdue (« je me sens / seule / et seule », p.13), celle de la mère défunte (« nous étions / mère et fils », p.21), déplie un phrasé singulier. De poème en poème, les mêmes mots reviennent et reprennent infiniment un écho. En effet, cette voix ne s'éloigne pas des fleurs, des feuilles, du jour et de la pluie, choses qui, vues de la véranda, tombent ou viennent de tomber : « quelque chose / comme des arbres / là / devant soi / et les fleurs / toutes les fleurs / les feuilles / tombées » (p.23). Ce n'est pas tant d'ailleurs que le temps et la phrase ne passent plus. Mais temps et phrase prolongent une fin : « j'entends l'automne les choses le nom des choses qui prend fin ». Ainsi, chaque mot porte l'étrange poids de l'effacement :
  
« c'est le fil de mes pensées ce n'est plus rien » (p.16)
Dans le mouvement du recueil, ce vers peut être dit par la mère qui, fantôme certes, revient sur sa parole lointaine, fragile. Mais ces mots condensent aussi l'émotion du recueil : on écoute cette voix  hantée par la disparition, qui fait résonner indistinctement celle de la mère et celle du fils, non pour retrouver illusoirement une vie passée, mais pour habiter le lieu intermédiaire de la perte. Pour revenir au début, l'épigraphe de Cesar Moro est sans doute aussi adressée au fils : s'il vient là, dans ce lieu et ces mots, la vie de la mère n'est pas tout à fait terminée.
Antoine Bertot
Eric Sautou, La véranda, Éditions Unes, 2018, 36p. 14€.