A la ligne

Publié le 25 mars 2019 par Lorraine De Chezlo
Feuillets d'usine
de Joseph Ponthus
Roman - 270 pages
Editions La Table Ronde - janvier 2019
Il a quitté sa région natale pour la Bretagne afin de vivre auprès de sa chère et tendre. Une décision qu'il assume même s'il peine puis renonce à trouver du travail dans sa branche de formation. Inscrit en agence d'intérim, il est régulièrement appelé pour des missions courtes et difficiles, variées et répétitives.
Comme les marins peuvent faire de très grands écrivains, Joseph Ponthus démontre qu'un travail ouvrier peut appeler l'envie de coucher ses impressions et ses récits sur papier, ici sur ces feuillets d'usine écrits à la hâte, dans la fébrilité du repos physique d'après quart, comme si les moments de repos ne pouvaient qu'être encore habité par les images de sang, les bruits de la chaîne, les odeurs des abats…A la ligne ne m'a pas apparu comme un récit admirablement écrit, mais cependant, j'ai trouvé son expérience très bien décrite. C'est si fidèle aux épreuves des salariés intérimaires en agro-alimentaire, aux tâches dans le froid ou dans le chaud, aux EPI qui desservent souvent mais servent parfois, aux objectifs sécurité, aux pauses à optimiser, aux horaires chamboulés, aux covoiturages annulés, aux douleurs et aux blessures. Et puis il y a à plusieurs reprises la dissection de son labeur comme une dissection d'animal d'abattoir.
Extrait :
"Parfois c'est rassurant comme un cocon
On fait sans faire
Vagabondant dans ses pensées
La vraie et seule liberté est intérieure
Usine tu n'auras pas mon âme
Je suis là
Et vaux bien plus que toi
Grâce à toi
Je suis sur les rives de l'enfance
Pas un mort n'était encore venu obscurcir ma vie
Je suis chez ma grand-mère"
C'est la poésie qui l'habite, c'est la littérature qui le sauve, les citations qu'il garde en mémoire, les parallèles qu'il fait avec malice. Cuiseur de bulots, égoutteur de tofu, personne ressource de structure pour personnes en situation de handicap, cuiseur de crevettes congelées, nettoyeur d'atelier d'abattoir, aiguilleur de demi-carcasses, il en aura vu du turbin, côtoyé des collègues chaleureux, fermés ou défaillants. Parce qu'il est difficile d'en parler autour de soi, d'énoncer précisément ce qui occupe sa vie et ses préoccupations, il a eu besoin d'écrire pour sa compagne, pour sa mère, pour son chien. D'écrire sans jamais y mettre de point final, d'écrire en retournant inlassablement à la ligne, comme chaque matin il doit retourner sur la ligne de production. Avec quand même le rêve qu'un jour tout ceci puisse s'arrêter, qu'un jour viennent les matins sans usine, les matins sans nuit. C'est pour ces fulgurances, ces lignes brillantes que ce livre vaut d'être lu.
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