Proche-Orient : Sarkozy gagne son pari syrien.

Publié le 12 juillet 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Par Daniel RIOT

Kadhafi ne sera pas là. Tant pis pour lui. Il donne d'ailleurs une leçon à la diplomatie de Sarkozy : les sourires de circonstance peuvent être trompeurs et il faut jamais  couvrir d'excès d'honneur ceux qui ne le méritent pas. Vieille illustration du proverbe trop souvent oublié : « si tu manges avec le diable, prend soin d'avoir une cuillère plus grande que la sienne »...

Une question  s'impose: La même diplomatie ne commet-elle pas la même imprudence en accueillant sinon en  grande pompe du moins avec tous les honneurs protocolaires, Bachar al-Assad, bon héritier de son père « intraitable » ? Le président syrien effectue  aujourd'hui à Paris  une visite historique qui lui permet  de participer au  lancement de l'Union pour la Méditerranée (UPM) chère au président français. Et de participer au défilé du 14 juillet.

Comme si l'on passait l'éponge sur tous les crimes de guerres commis au Liban par la Syrie, y compris contre des forces françaises et des diplomates français ? Comme si l'on oubliait toutes les atteintes aux droits de l'Homme dont sont victimes les Syriens. et surtout ceux qui croupissent dans les prisons du régime. Comme si l'on ne voulait pas du tout se souvenir des actions terroristes des services syriens. Comme si l'on gommait un fait qui reste majeur : la paix israelo-arabe se heurte d'abord au veto souvent belliciste de Damas. Les disputes autour du Golan ne sont qu'un prétexte. Le régime syrien ne semble depuis 1967 ne survivre que par l'état de guerre, vis-à-vis de l'extérieur et à l'intérieur. Cela est resté vrai en dépit des changements qui auraient du et pu intervenir depuis l'implosion de l'URSS qui fut longtemps tuteur et inspirateur des maîtres de Damas...

Notre réponse est Non pour une raison simple. La paix ne s'obtient que par deux chemins. Celui où l'un des camps écrase l'autre. Vaincre et soumettre. Celui où les ennemis s'arrêtent pour se rencontrer, discuter, négocier. Et tenter de repartir sur des nouvelles bases. Concilier avant de se réconcilier.C'est ce qu' a bien vu Sarkozy. C'est ce qui motive son pari syrien. Un pari gagné...pour l'instant.

Dans cet « Orient compliqué », la paix, ou plutôt les paix puisque plusieurs conflits se superposent et s'enchevêtrent, ne peut (ne peuvent) naître que de médiations, de dialogues, de compromis, d'entente. En ce sens le sommet de Paris est riche de promesses même si aucune illusion ne doit être entretenue. Sarkozy a raison sur un point clef : il faut tout essayer, tout tenter. Ce qui est vrai pour la paix l'est aussi pour la démocratisation des régimes moralement et politiquement condamnables. La démocratie ne se décrète pas. Elle ne peut être favorisée que par un lent et patient travail, sur plusieurs terrains et à plusieurs niveaux. C'est particulièrement vrai au Proche-Orient où les processus de pacification et de démocratisation seront intimement liés ou ne seront pas. 

Première illustration positive de ce dessein : Cette journée est   l'occasion de la première rencontre, sous les auspices de Sarkozy, entre Assad et son homologue libanais Michel Sleimane depuis l'élection de ce dernier en mai. Les deux hommes annoncent la réouverture d'ambassades dans les deux capitales. C'est effectivement un « bon signe » vers une normalisation de relations de bon voisinage. Damas, qui ne s'est plus opposé à la création d'un gouvernement d'union nationale dans l'ancienne « Suisse du Proche-Orient » (un surnom qui a toujours été injustifié)  ne se prend plus pour ... la vraie capitale du Liban.

Deuxième illustration positive du même dessein : voir (Khadafi mis à part) tous les dirigeants arabes accepter de monter dans le même bateau que les dirigeants israéliens est un signe incontestablement positif. En cela l'initiative méditerranéenne de Sarkozy (révisée par ses partenaires de l'Union) est déjà une réussite

Certes, Assad et  Ehud Olmert se tiendront  à bonne distance, mais il seront assis à la même table. Cela en un moment où, grâce aux Turcs, des contacts discrets sinon secrets se déroulent entre services israéliens et syriens. L'union européenne reprend ainsi sur cette terre trois fois sainte et la France rejoue un rôle qu'elle n'était plus en mesure de jouer quand sa politique ambiguë la coupait d'Israël sans lui donner des moyens d'influencer les pays arabes.

Sarkozy qui annonce une visite officielle à Damas en septembre a de quoi être satisfait légitimement de la tonalité de ses conversations avec Assad

Résumé de ce dialogue emprunté aux agences de presse : « Les deux présidents ont souligné l'importance du volet syro-israélien du processus de paix" et "noté les progrès accomplis dans le cadre des pourparlers indirects entre la Syrie et Israël sous l'égide de la Turquie".
Bachar el-Assad "a souhaité que la France, avec les Etats-Unis, puisse apporter toute sa contribution à un futur accord de paix entre Israël et la Syrie, dans la phase de négociation directe comme dans la mise en oeuvre de l'accord, y compris pour les arrangements de sécurité qui pourraient être nécessaires".
Le président français a quant à lui "marqué la disponibilité de la France à répondre à toute demande en ce sens, si les parties y trouvaient intérêt".
En tant que président français de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy "engagera les procédures appropriées en vue de la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Syrie, et du lancement du processus de ratification aussitôt que possible".
Nicolas Sarkozy a aussi demandé à la Syrie de "convaincre l'Iran" d'apporter "les preuves" qu'il ne cherche pas à se doter de l'arme nucléaire.

Evidemment cela ne résout pas tout, mais en   matière de pacification dans et de la région le seul miracle ne peut être que le résultat d'actions multiples, patientes et persévérantes.

Après son discours « sans faute » devant le Parlement européen à Strasbourg et avant le lancement de l'Union pour la Méditerranée dans la logique du processus de Barcelone, le Président français accomplit là une belle prestation diplomatique.

Les sceptiques, les pessimistes et les puristes aux mains blanches (parce qu'ils n'ont pas de mains du tout) qui critique ce sommet de Paris ont tort. Avec les 43 chefs d'Etat et de gouvernement qui l'entourent, Sarkozy n'est ni dans la politique-spectacle ni dans la diplomatie-gadget ni dans des effets de communication.

Toutes les espérances semées ne donneront pas tous les fruits escomptés, mais soyons justes et réalistes, donc tentons de voir le réel tel qu'il est : Nicolas Sarkozy  redonne à la diplomatie française un poids sur le cours des événements dans l'espace méditerranéen qu'elle n'avait plus depuis longtemps et à l'Union européen une consistance politique qui est bien réconfortante.

Daniel RIOT