A priori, ce nouveau roman de Monique Ilboudo propose une de ces nombreuses tentatives d'invasions qui tourmentent l'Europe bien-pensante. Celles de ces jeunes africains qui tentent par tous les moyens de rejoindre l'Eldorado du nord. Jean-Philippe fait partie de ceux là. Il n'est pas un mauvais bougre. Mais au vu de sa trajectoire, malgré le soutien de ses parents, la solution pour lui est de partir, de quitter Ouabany. S'en aller sur les routes pour rejoindre l'Europe en passant par le Maghreb.
Cette expédition est sa deuxième tentative. Ses économies ayant été pillées par le premier passeur sensé le conduire vers la terre promise. Après avoir atteint le nord de l'Afrique et tenté de passer les dernières barrières lui permettant toucher le graal, il est renvoyé manu militari à Ouabany, le point de départ. C'est là que Jean-Philippe va faire une rencontre qui va changer sa donne : Elgep, un européen qui travaille dans l'humanitaire...
La troisième fois sera donc la bonne. Je vous laisse découvrir ce roman qui annonce un sujet qui en cache un autre : à savoir la question de l'homosexualité.
Monique Ilboudo aime exploiter dans ses romans le rapport complexe entre blancs et noirs, dominants et dominés. C'est effectivement déjà le cas dans Le mal de peau que j'ai chroniqué il y a quelques années. La relation d'Elgep et Jean-Philippe s'éclaircit quand ces deux hommes se retrouvent en France. Monique Ilboudo aime les situations confuses. Et Jean-Philippe, le migrant s'adapte. Sa famille restée au pays beaucoup moins.
Doit-on parler de prostitution ou d'amour ? La question n'est jamais posée, la relation qui s'est imposée délicatement entre ces deux hommes n'est jamais analysée dans sa violence et ses non-dits. Jean-Philippe est en Europe, bien loti, n'est-ce pas l'essentiel ? Il rencontre Rama, une migrante comme lui dans une de ces villes de province française. Leurs parcours respectifs sont similaires, leur solitude également... Peut-être que la qualité de ce roman est justement dans ce qui n'est pas dit, dans ce silence intérieur que s'impose le personnage narrateur...
Ce texte écrit à la première personne du singulier est bien travaillé. Il soulève des questions qu'abordaient déjà Faire l'aventure de Fabienne Kanor. Différemment toutefois, car la question de l'homosexualité est le moyen pour atteindre un objectif. Partir et être si loin de sa vie.
Monique Ilboudo, Si loin de ma vieEditions Le Serpent à plumes, première parution en 2018
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