Le texte a des échos prophétiques qu'on a vite rapportés à l'internement prochain d'Artaud, comme si cette parole était folie. Avant même l'internement, celui-ci a conscience du piège. " Le Torturé a été pris par un fou par tout le monde ", écrit Artaud qui entend révéler la " vérité ". " Je sais qu'on a voulu m'éclairer par le Vide et que j'ai refusé de me laisser éclairer [...] Je ne veux plus être un Illusionné. Je me suis vraiment identifié avec cet Être, cet Être qui a cessé d'exister. Et cet Être m'a tout révélé ".
Ce texte en prose donc est métaphysique, et rappelle la Saison en enfer de Rimbaud dans son diagnostic de la crise existentielle décisive de l'Occident, jetant Artaud dans le " Désespoir ", lui qui était parti en 1936 au Mexique chez les Tarahumaras chercher une porte de sortie à cette crise. Artaud prend alors une posture sacrificielle, comme un écho à " la charité " rimbaldienne telle que la lira Yves Bonnefoy, là aussi au bord du gouffre : c'est tout autant Artaud que l'Occident qui penchent vers le " Vide ", avec comme souvent chez lui cette angoisse devant la sexualité, unissant donc crise spirituelle, crise historique, et jusqu'à la Nature qui va se " révolter " : " Cela veut dire que, dans un monde livré à la sexualité de la femme, l'homme va reprendre ses droits. Cela veut dire enfin que tout ce qui fait l'homme nous a quittés parce que nous avons trahi l'homme. Et l'Homme en nous s'est libéré de l'homme. " Haussant le ton, Artaud joue avec les majuscules, certains fragments étant même en lettres capitales. Il faut à l'Occident une " transmutation supérieure ", par un " fou " mais aussi un " roi ", et bien sûr Artaud est ici ce poète par qui peut s'opérer l'alchimie, peut-être au prix de sa propre existence ou de son équilibre, lui qui a " le signe magique de la foudre ". Il plonge dans la Kabbale, la magie de chiffres et le Tarot pour trouver la formule qui rédimera le monde. Le texte se ferme sur l'annonce d'une " Destruction totale ", comme s'il était nécessaire de tout " brûler " pour pouvoir enfin repartir.
Texte troublant donc, dont on peut saluer la publication par les éditions Prairial dont l'objet est justement de faire redécouvrir des œuvres rares dans une présentation soignée, ici avec des reproductions de manuscrit d'Artaud.
Sébastien Dubois
Antonin Artaud, Les nouvelles révélations de l'être, préface d'Olivier Penot-Lacassagne, éditions Prairial, 2019, 120 p., 9€.