J’avais mentionné il y a quelques temps que j’avais commencé à avoir des problèmes de vision à la fin du mois de juin 2017.
Lors de ma visite en urgence ophtalmologique en août suivant, tout semblait normal et l’ophtalmologiste était convaincu que j’avais un développement soudain d’astigmatisme (hum ok).
L’ophtalmologiste vue en octobre suivant ne voyait rien d’anormal non plus, mais supposait que ça pourrait être un kératocône, encore trop peu évolué pour être visible. Mon optométriste était du même avis.
Un kératocône (KC) est une déformation de la cornée, en forme de cône. J’y reviens plus bas. C’est une maladie progressive incurable et plus il y a déformation, plus il y a perte de vision.
Comme pour le SED, c’est à la base un problème avec le collagène.
En février 2018, j’ai revu mon optométriste, qui était alors convaincue qu’il s’agissait effectivement d’un kératocône, puisque ma vue s’était encore détériorée et qu’elle pouvait dorénavant voir la déformation de ma cornée à l’examen clinique. N’ayant toujours pas eu de nouvelles des autres endroits où j’avais été référée, elle m’a référé à la clinique universitaire des étudiants en ophtalmologie, où je pourrais enfin avoir la fameuse topographie (une imagerie détaillée de la surface de la cornée) ainsi qu’une prise en charge de ce problème de vue en général, avec suivi et ajustements de verres de contacts spéciaux, qu’on appelle scléraux, puisqu’ils reposent sur le blanc de l’oeil.
La vie étant bizarrement faite, j’ai eu le rendez-vous à la clinique universitaire la semaine suivant mon rendez-vous à la clinique de la cornée de l’hôpital, en mars.
Ophtalmo nº 1
Le médecin que j’ai vu à la fin mars 2018 n’était pas des plus sympathiques. J’ai commencé par voir un médecin résident, comme c’est la norme dans cet hôpital… puis le médecin revient avec les étudiants (il y a souvent un seul résident au départ, mais plusieurs avec le médecin)… elle s’assoit au bureau, me tournant le dos, et discute avec eux. J’ai deviné qu’elle m’avait posé une question quand il y a eu un silence. Elle n’avais pas changé de ton de voix, ne s’était pas tournée vers moi, rien. Elle a mentionné le kératocône en leur parlant, mais ne m’a jamais annoncé que c’était mon diagnostic!
Mais le pire, c’est qu’elle n’écoutait pas ce que je disais. J’ai eu beau raconter encore une fois que ma vue était parfaite il y avait moins d’un an, que mon optométriste venait de confirmer que j’avais encore perdu de l’acuité visuelle depuis les derniers quatre mois, que j’avais eu ma chirurgie au laser sept ans auparavant et que j’avais le syndrome d’Ehlers-Danlos… elle ne retenait que ce qu’elle voulait. Elle m’a fait passer la topographie, qui montrait des signes de déformation de ma cornée, effectivement.
Mais quand j’ai mentionné le kératocône, elle m’a dit qu’à mon âge ça ne progressait plus donc ça n’était pas la source de mon problème.
J’imagine que c’est pourquoi elle ne m’a pas « annoncé le diagnostic »; il semble qu’elle pensait que je savais déjà que je l’avais, si elle était convaincue que j’avais le KC depuis longtemps…
La source de mon problème, dans ce cas? De la myopie, simplement (ce qu’elle a dit avec paternalisme).
J’ai insisté un peu, fait remarqué que ma condition semblait progresser, dit que j’étais inquiète… donc finalement elle a dit qu’elle me reverrait six mois plus tard, afin de refaire une topographie et voir si ça progressait, mais elle n’était pas du tout inquiète.
Elle m’a recommandé de m’acheter des lunettes et d’annuler mon rendez-vous à la clinique universitaire, parce que si je me faisais faire les verres de contacts scléraux, ce serait de l’argent gaspillé.
Kératocône
Dans mes recherches sur le KC par la suite, j’ai vite compris que cette ophtalmologiste avait de grands préjugés, comme trop de médecins sur trop de maladies.
Premièrement, sans grande surprise, le kératocône est une maladie rare (comme le SED, on croit que c’est sous-diagnostiqué et moins rare que ce qu’on croyait).
Ensuite, bien que c’est vrai que pour la majorité des gens, ça se déclare à l’adolescence et se stabilise à la trentaine… il y a des gens chez qui ça se déclare à la cinquantaine, d’autres pour qui ça ne se stabilise jamais (à moins de subir la chirurgie), etc. Finalement, comme pour n’importe quel problème de santé, tous les cas ne respectent pas la norme et il ne faut pas toujours se fier aux cas classiques!
Bouchons
Lors de ce même rendez-vous, en mars, l’ophtalmologiste m’a placé des bouchons lacrimaux, dans l’espoir d’aider ma sécheresse oculaire (ça avait été proposé par l’ophtalmologiste vue en octobre, mon ancienne optométriste m’en avait aussi parlé).
Ça m’a tout de suite irrité les yeux, mais on m’avait dit qu’un certain inconfort pouvait survenir au début alors j’ai cru ça normal.
Ça ne l’était pas! Chaque heure qui passait me rendait les choses plus pénibles. Le lendemain matin, mes cornées étaient rougies des deux côtés (photo) et j’étais incapable de réfléchir tellement ça faisait mal (on voit le bouchon, à droit, qui ressemble à un tout petit bouton dans le coin de l’oeil en bas).
J’ai appelé à la clinique d’ophtalmo de l’hôpital… mais après 30 minutes d’attente, j’ai raccroché et appelé ma clinique d’optométrie. Ils m’ont dit de passer tout de suite. Malheureusement, l’optométriste qui m’a vu n’a pu que confirmer que les bouchons devaient être enlevés, car ils dépassaient et irritaient ma cornée… mais il n’avait pas le droit de le faire! Ça prend un ophtalmologiste pour ça! pour prendre des pinces à cils et retirer des bouchons! Je devais donc absolument retourner à l’hôpital. Belle perte de temps. L’optométriste a essayé d’appeler l’hôpital pour que je sois vue rapidement, mais on l’a fait poireauter sur la ligne tout comme moi. Après plus de 20 minutes, il m’a plutôt écrit une note. Grâce à celle-ci, j’ai vu l’infirmière assez rapidement et on m’a mis des gouttes anesthésiantes pour me soulager… mais j’ai quand même attendu plus de deux heures avant de voir le médecin (en commençant par le résident, bien sûr!).
Ophtalmo nº 2
Encore une fois, le médecin a passé plus de temps à parler avec les résidents qu’avec moi, la majorité du temps en anglais et en me tournant le dos. J’ai cependant trouvé celle-ci un brin plus sympathique. J’ai donc été très heureuse quand elle m’a dit qu’elle voudrait me revoir le mois suivant pour voir si mes yeux étaient guéris. J’espérais secrètement qu’elle devienne ma nouvelle ophtalmo!
Quand je l’ai revue fin avril, elle a évidemment discuté de ma vue qui continuait à baisser.
Soudainement, je n’avais plus de kératocône! J’avais une ectasie post-LASIK. J’ai appris depuis qu’une ectasie, c’est la déformation de la cornée.
Il y a plusieurs types d’ectasies et le kératocône en est un. L’ectasie post-LASIK est une déformation similaire à celle du KC, où le centre de la cornée, affaibli par la chirurgie laser, se déforme, en formant généralement un cône plus ou moins centré. La chirurgie laser est, en fait, très déconseillée aux personnes atteintes du SED, en raison de notre collagène défectueux. Chose que je ne savais pas quand j’ai subi ma chirurgie en 2011. Je venais tout juste d’avoir le diagnostic (et encore, on me l’avait donné à reculons), et le chirurgien qui s’en chargeait n’était visiblement pas au courant non plus (je suis certaine de lui en avoir parlé).
Ectasie post-LASIK
Cependant, si je suis bien honnête avec moi-même, je ne peux pas dire que j’aurais fait autrement! J’ai été myope dès mes 10 ans, puis rapidement aussi astigmate. Ma vue a baissé très rapidement et a continué de progresser jusqu’à mes 28 ans environ. J’ai changé de prescription d’abord aux six mois, puis aux années, et ça n’a ralenti que dans la vingtaine avant d’enfin se stabiliser… mais j’avais des fonds de bouteilles (avec des verres amincis deux fois!), un choix de monture limitée, je ne me voyais pas bien dans le miroir sans lunettes ou verres de contacts… J’attendais que ma vue se stabilise assez pour avoir le LASIK depuis que j’avais appris son existence et qu’on m’avait dit que ma vue devait d’abord se stabiliser et que ça devrait se produire après mes 18 ans… j’ai donc attendu impatiemment pendant plus de 10 ans!
Si on m’avait dit, à 32 ans, qu’en raison du syndrome d’Ehlers-Danlos, je ne devrais pas subir la chirurgie qui me redonnerait une vue parfaite et éliminerait le besoin de porter des lunettes, parce qu’il y avait un risque que je sois un jour atteinte d’une complication… j’aurais probablement pris le risque! Premièrement, parce qu’on minimise toujours les risques, surtout quand c’est quelque chose que l’on souhaite depuis longtemps… mais aussi, parce que je ne savais pas encore qu’avec le SED et ma santé, je n’ai aucune chance!
Que ce soit une ectasie post-LASIK ou un kératocône ne changeait absolument rien : même pronostic, même traitement, etc. Une chose changeait, cependant : s’il ne s’agissait pas d’un kératocône, la progression était donc clairement liée à l’ectasie, donc la déformation était la cause de ma baisse de vision… il fallait donc faire la chirurgie le plus vite possible. Encore une fois, le médecin ne m’a rien dit directement! Mais une des résidentes a dit au médecin « mais s’il s’agit d’une ectasie post-LASIK, c’est la chirurgie automatique non? Et il faut la faire rapidement… ».
Cette chirurgie, c’est un « cross-linking » ou CXL, en français on dit « réticulation du collagène cornéen » ou C3R. Je l’aborderai plus en détail dans un autre article. Il s’agit du seul traitement qui existe et qui permet de ralentir ou stopper la progression de la déformation. Ça durcit la surface de la cornée. Parfois ça ne fonctionne pas, parfois la progression reprend après un certain temps, mais la majorité du temps, ça fonctionne!
Cette 2e ophtalmo a donc décidé de me revoir quatre mois plus tard, soit en août (la première ophtalmo, en mars, voulait me voir « dans six mois », donc en septembre; je gagnais donc un mois).
Moi, je trouvais ça encore beaucoup trop loin. Ma vue semblait baisser chaque semaine, alors attendre plus de trois mois…
La chirurgie peut stopper ou ralentir la progression, mais la progression n’est pas réversible.
Et contrairement à la myopie ou autres problèmes de vue, tout ne peut pas être corrigé avec des lunettes, et les verres de contacts spéciaux ne fonctionnent pas toujours à 100% ni pour tout le monde. On développe de la myopie, de l’astigmatisme irrégulier, mais surtout, du dédoublement, des halos, des contours fantômes (ghosting)… des choses qui ne se corrigent pas facilement. Ça donne un peu comme sur la photo ci-dessous.
La perte de vision est donc beaucoup plus angoissante.
Mais je ne voyais pas d’autre solution qu’attendre. Mon optométriste trouvait le délai un peu long aussi, mais se disait qu’ils savaient ce qu’ils faisaient, ce que mon ancienne optométriste, une amie, me disait aussi : « Tu es entre bonnes mains, ne t’inquiète pas. Ça ne progresse pas rapidement ce problème-là, six mois c’est bien correct. »
J’ai eu mes lunettes, les premières en presque dix ans, à peu près au même moment, fin avril 2018. J’ai pris les moins chères, croyant que je ne les porterais que quelques mois, espérant la chirurgie rapidement et les verres de contacts scléraux qui suivraient.
Choc post-diagnostic
J’ai passé plusieurs mois dans un état difficile. Légère déprime situationnelle à cause du diagnostic.
Une partie de moi espérait, avant le rendez-vous de mars, puis encore, bizarrement, avant celui d’avril, que je n’avais pas le kératocône/ectasie. Même si j’avais tous les symptômes et que c’était le seul diagnostic qui faisait du sens. Même quand on veut un diagnostic pour expliquer les symptômes et, idéalement, avoir un traitement, on ne souhaite jamais avoir un diagnostic de maladie incurable et progressive, et même si on s’y attend, une partie de soi espère toujours qu’il y a une autre explication, moins dramatique, même quand on pense que ce n’est pas le cas.
Une fois que ça a été confirmé par trois ophtalmologistes en plus de mon optométriste, c’était vrai.
Je me suis informée, comme je fais toujours une fois qu’un nouveau diagnostic est confirmé. Me suis jointe à ce groupe Facebook de personnes atteintes, ai trouvé diverses ressources (articles médicaux, associations, comme la Fondation canadienne du kératocône). Ce qui est vite devenu apparent, c’est que, si l’information qu’on retrouve lors d’une recherche rapide vise à dédramatiser le diagnostic : « on ne devient pas aveugle avec ça », « les greffes de cornées sont le dernier recours et sont exceptionnelles », etc. on réalise rapidement que ce n’est pas exactement la réalité.
Les greffes de cornées sont assez communes, et évidemment, avec un taux de succès mitigé, mais surtout, si on ne se retrouve effectivement pas « aveugle » au sens de « dans le noir total » avec une ectasie… on peut malheureusement très bien se retrouver au niveau de la cécité légale.
Ce qui se produit le plus souvent est que des gens ont une grande perte de vision, qui est assez bien corrigée avec les lentilles sclérales, mais ces lentilles cornéennes ne sont souvent pas tolérées plus de huit heures par jour, et certaines personnes ne peuvent pas les tolérer plus de quelques heures de suite; le reste du temps ces personnes sont donc fonctionnellement aveugles (mais ne le sont pas au sens de la loi, qui prend uniquement en compte la vision corrigée).
Et je dois insister : les lunettes ne peuvent tout simplement pas corriger le gros du problème de vision.
Je me suis donc retrouvée à faire face à cette possibilité très réelle de perdre la vue presque complètement à moyen ou long terme… et le combo fauteuil roulant et canne blanche est absolument terrifiant.
Aussi, même mes médecins, en apprenant ce nouveau diagnostic, m’ont dit, les uns après les autres « Ah non! Il ne restait que tes yeux qui n’étaient pas touchés! ». Bon, ce n’est pas 100% vrai, et je vais toucher du bois, il reste encore plusieurs organes internes en état de marche… mais c’est vrai que c’est un gros morceau. Depuis des années que ça m’angoissait, chaque visite chez l’optométriste… et finalement ça y est.
Même si je ne passais pas mon temps à angoisser, je sentais que je vivais les contrecoups du diagnostic : j’étais irritable, plus fatiguée, plus émotive. Mais je connaissais la cause et je savais que la seule solution était de laisser le temps passer. De vivre ces émotions, d’en parler. Et après quelques mois ça allait mieux.
…mais ma vue continuait à baisser.