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Le judo, outil de soft power supranational japonais

Publié le 21 mars 2019 par Infoguerre

Le judo, outil de soft power supranational japonais

Les enjeux japonais liés au judo en tant que méthode d’éducation, d’expression physique et morale ont évolué au fil du temps. Le judo a vite pris une ampleur internationale du fait de sa déclinaison en discipline sportive et de son intégration parmi les disciplines des Jeux olympiques. Il a été vital pour le Japon de réévaluer les enjeux liés au judo et de sécuriser ses intérêts stratégiques de soft Power. Pour ce faire, il a été nécessaire pour le Japon de sélectionner son allié. Le judo est le premier sport d’art martial à être inscrit parmi les disciplines des Jeux olympiques en 1940, ce qui fait du Japon, le premier pays à avoir introduit un sport d’art martial dans une compétition olympique. Jigoro KANO, de par son statut de directeur de l’enseignement pour le ministère de l’Éducation japonaise, a diffusé et imposé sur la sphère mondiale le judo comme discipline éducative et sportive de référence. À travers cet action et grâce à son influence à la commission, c’est l’hégémonie japonaise qui s’est exprimée. Cette hégémonie s’est renforcée par la domination des judokas japonais à l’échelle mondiale et olympique.

Les enjeux du Japon pour conserver son leadership sur le judo

Le Japon doit faire face à 3 enjeux : Le premier enjeu concerne la préservation de l’authenticité, de la notoriété et de l’image du judo perçu comme étant un sport, mais qui est réellement une méthodologie d’éducation physique et mentale originaire du Japon pratiqué par plus de quinze-millions de personnes dans le monde.  Il s’agit du porte-drapeau de la culture japonaise, au niveau international. Hausser la discipline au rang mondial et la maintenir à ce niveau est impératif pour le Japon.Par cette vitrine le Japon exprime indirectement un soft Power du Japon sur le reste du monde. La dénaturalisation du judo par la modification non souhaitée du code moral associé, du code vestimentaire où la langue utilisée fait partie des menaces qui pèsent sur la mainmise historique du Japon sur le judo.

Le deuxième enjeu concerne l’aspect sportif du judo. La catégorie des lourds, importante aux yeux de la population japonaise, symbolise culturellement la puissance. Cette catégorie fait un rappel religieux au dieu bouddha, symbole de pouvoir et de richesse. La catégorie des plus de cent kilos est particulièrement appréciée par les Japonais au même esprit que les sumotoris.C’est la volonté de récupération de pouvoir et de l’honneur. Un Japonais qui occupe la première place mondiale renforce l’idée de maîtrise de l’art martial national. Or le Japon a perdu sa place de leader mondial dans la catégorie phare des lourds depuis la victoire de David Douillet. Cette place de numéro un mondiale est solidement conservée par la France grace aux performances de son représentant Teddy RINER, depuis 2012 . Cela fait plus de six ans que le Japon cherche à battre la France par une victoire sur Teddy RINER.

Le troisième enjeu pour le Japon est la préservation du judo parmi les disciplines olympiques. Les disciplines aux Jeux olympiques sont limitées à 28. Tous les pays veulent que leur discipline soit une discipline olympique. Il s’agit d’une reconnaissance internationale, un enjeu de pouvoir et de puissance. Pour que 200 pays sur cinq continents et 15 millions de licenciés. Il est exigé que le sport soit populaire. C’est-à-dire que les stades sont pleins. Que les audiences de télévisions soient importantes Et que les retombées médiatiques soient fortes autour de ce sport. Par ailleurs, Il faut que les règles soient suffisamment claires pour qu’une personne non initiée comprenne pourquoi l’arbitre a désigné la personne vainqueur et pourquoi la personne est la plus forte. C’est l’idée de « que le meilleur gagne ». Par comparaison, de ce point de vue-là, la lutte et la boxe connaissent beaucoup de difficultés. Ces deux disciplines risquent de quitter l’olympiade. Enfin le Comité International Olympique impose le respect de l’olympisme et interdit les interactions de violence et de bagarres.

L’appropriation française

Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, des individualités telles que avec le docteur Paul BONET-MAURY, avec l’appui de maître KAWASHI, ont donné une forte impulsion à la pratique de cet art martial dans l’hexagone. Le judo s’est très vite développé et a dépassé la pratique de la lutte.  Paul BONET-MAURY a su utiliser son influence pour mettre en exécution un stratagème efficace qui a consisté à incorporer la discipline du judo dans la fédération française de lutte russe durant l’introduction du judo en France.  Par la suite, il a transformé le même organisme en fédération française de judo (FFJ). Il sera par la suite à l’origine de la création de la fédération européenne de judo (FEJ) et de la fédération internationale de judo (FIJ). La stratégie de développement française au niveau national consistait à former le maximum d’élèves judokas jusqu’à leur ceinture noire, le grade de maître. La fédération nationale les encourageait à ouvrir systématiquement un club de judo. Cette stratégie a permis de créer une grande sphère de judokas influenceurs français qui aujourd’hui dépasse largement le nombre de judokas japonais. Cette stratégie explique en grande partie la position actuelle du judo français dans le monde.Le Japon  s’est historiquement considéré comme leader du judo notamment sur le terrain de la méthode éducative code cette discipline sportive. Cependant, le peuple japonais s’est senti humilié et déshonoré lorsque la France représentée par David DOUILLET remporta sont combat en final contre le japonais Shinichi Shinohara durant les jeux Olympiques de 2000 à Sydney en Australie. Les médias locaux ont amplifié la communication au point d’atteindre le niveau de deuil national. Cette humiliation s’est renouvelée de manière durable faisant de Teddy RINNER,  « l’ennemi à battre » sur le tatami. Bien que la France soit désormais un adversaire historique le plan de la compétition sportive, elle reste le meilleur allié du Japon sur le plan de la diplomatie sportive.  La France rets en effet le pays qui respecte le plus les principes et les valeurs du judo tels que le Japon cherche à défendre. La France a beaucoup d’influence au sein de la Fédération Internationale de Judo. Cette dernière est l’instance supranationale principale qui organise et régule la discipline du judo sur la sphère internationale, ce qui en fait le levier clé pour la préservation des principes du judo authentique, chers au pays fondateur.

Par ailleurs, il existe également un rapport de force au sein même de la FIJ du fait que chaque pays membre souhaite s’approprier le judo et l’adapter à sa culture au risque de dénaturer la discipline initialement japonaise. C’est l’exemple des pays de l’ancien Bloc de l’Est pouvant user de son influence auprès du comité d’arbitrage pour que les règles d’arbitrages se rapprochent de la lutte qui est le sport culturel local russe. Il est intéressant de noter que le président russe Vladimir Poutine fait partie des membres d’honneur de l’organisation de la Fédération International de Judo.  Le judo japonais fait aussi face à l’influence du Brésil avec la discipline du jujitsu brésilien.

Une rivalité coopérative

Le Japon a instauré une stratégie de coopétitivité avec la France dans un souci de protection de ses intérêts patrimoniaux. D’un côté, avec les victoires de David DOUILLET et de Teddy RINER, le Japon considère la France comme un adversaire historique à vaincre sur le plan sportif. De ce fait, les sélectionneurs et entraîneurs nationaux japonais sont choisis en fonction du but précis recherché qui est de vaincre Teddy RINER. C’est l’exemple de l’entraîneur de l’équipe nationale Kosei INOUE médaillé d’or aux JO de Sydney en moins de cent kilos. Avec un nombre de pratiquants quatre fois supérieurs à celui du Japon pourtant pays fondateur de la discipline, la France est un pays influenceur. Ce constat incite le Japon se rapproche de la France en réalisant des partenariats, des échanges sportifs, des propositions de formation pour maintenir la relation, mais aussi harmoniser le style de judo évolutif.

D’un autre côté, le Japon a besoin de l’influence et la position stratégique de la France au sein de la FIJ pour protéger les principes du judo ainsi que son maintien parmi les disciplines olympiques. Le Japon est présent dans la commission d’arbitrage représenté par KAWAGUCHI Takao et dans le comité de direction représenté par YAMASHITA Yasuhiro. En complément de la position de Jean Luc ROUGE, à la fois président de la FFJ et secrétaire général de la FIJ, une alliance franco-japonaise peut se montrer très puissante et à fort pouvoir décisionnel lors des délibérations des propositions stratégiques. Il s’agit ici d’un objectif d’accroissement puissance qui est recherché par le Japon à travers le judo.  En 2018, la FIJ a dû, sous pression du CIO,  changer en profondeur ses règles de judo afin de pouvoir conserver sa place parmi les disciplines olympiques. C’était un risque considérable pour le Japon de voir le judo dénaturé et écarté de ses principes d’origine au profit d’une influence occidentale des pays membres tel que la lutte pour les pays de l’Est ou le jujitsu brésilien. Lors du changement des règles d’arbitrage, passé en application depuis janvier 2018, le Japon a su orienter les propositions de manière à simplifier la compréhension du sport tout en évitant de dénaturer le sport. Une fois les propositions de changement soumis pour délibération au comité de direction, le représentant français occupant le poste de secrétaire général a exercé son influence en concordance avec les souhaits communs japonais.

Malgré les nombreuses tentatives, le Japon n’a pas pu détrôner la France dans la catégorie phare des lourds, culturellement prestigieuse au Japon. Par ailleurs, l’alliance franco-japonaise au sein de la FIJ semble renforcer l’influence française sur le plan international. Le Japon reste perdant pour l »instant dans l’épreuve reine de la discipline, assure malgré tout la sauvegarde des principes et valeurs du judo et préserve l’affichage de cet art martial dans le menu Jeux olympiques. Sur ce point précis, le Japon et la France partagent la même vision du judo.

Rachid Abdou Moussa

Sources :

Vladimir POUTINE est membre d’honneur à la fédération internationale de judo, About IJF, consulté le 12 mars 2019.

Le Japon rêve de dominer à nouveau, Liberation, Judo : « Pour nous, Japonais, l’objectif est de battre Teddy Riner», 7 aout 2016 à 19:01 .

Comité de direction FIJ , International judo fédération, About IJF, consulté le 12 mars 2019

Nouvelles règles de judo. Adaptation des règles d’arbitrage du judo pour le prochain cycle olympique 2017/2020, Federation International de Judo

Tentative d’influence française sur modification du kimono, L’IJF expérimente de nouveaux kimonos, alljudo.net, samedi 28 juillet 2018

La lutte sortie du programme olympique, la lutte sortie du programme olympique en 2020, France info, Mis à jour le 02/05/2014 | 15:05 publié le 12/02/2013 | 11:22

Entretiens

Interview avec Jean Luc ROUGE, secrétaire général de l’international judo fédération et président de la fédération française de judo, Enregistrement audio disponible

Interview avec Michel HUET, assistant du secrétaire général de la fédération internationale de judo, responsable communication de la Fédération Française de judo. Enregistrement audio disponible

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