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Légitimité(s)

Publié le 21 mars 2019 par Jean-Emmanuel Ducoin
Légitimité(s)À propos des «écarts» de Castaner… 
Fiasco. Sans sombrer dans la caricature, voire dans les remugles de ces conversations façon café-du-commerce dont on dit qu’elles alimentent le «populisme ambiant», le bloc-noteur se permettra néanmoins d’écrire son dégoût, qu’il résumera d’une phrase moins cinglante qu’il n’y paraît: quand on représente l’État, donc la légitimité d’une fonction régalienne, surtout par les temps qui courent, ses actes ne doivent jamais trahir la confiance précisément dépositaire d’une autorité qui réclame un minimum de respect. Christophe Castaner, l’incapable de la Place Beauvau, est-il ministre de l’Intérieur par intermittence ou à temps partiel? Sur le plan politique, nous connaissons le débat: depuis les violences de l’acte XVIII des gilets jaunes sur les Champs-Élysées, l’homme se trouve dans la tourmente, critiqué à la fois au sein de sa majorité et de l’opposition, à tel point que sa démission a été brièvement évoquée avec Mac Macron – opportunément redescendu de son télésiège avant d’abandonner cette piste –, dans la soirée du samedi 16 mars, ce qui, à bien y regarder, aurait toutefois permis au pouvoir de mieux accompagner le débarquement, bien réel celui-là, du préfet Delpuech. Sur le plan personnel, n’en déplaise à certains, le cas Castaner provoquait déjà l’hilarité du Tout-Paris avant même qu’une vidéo ne vienne à circuler dans la presse people et sur les réseaux sociaux : un ministre de l’Intérieur passablement éméché et filmé le 9 mars dans une boîte de nuit de la capitale, pratiquant le bouche-à-bouche avec une jeune femme, sans ses gardes du corps-à-corps et devant des dizaines de témoins. L’affaire n’a l’air de rien. Mieux, elle ne nous concernerait pas. «Vie privée», clame le fautif, qui n’a pas tort en évoquant la «violence» qu’il a pu ressentir après la diffusion de ces images. Car, voilà, au pire moment, ce proche de Mac Macron renvoyé à son reflet le moins avantageux qui lui vaut quelques surnoms désobligeants, «Kéké», «Simplet», etc. Et c’est le même homme qui paradait, après les violences des Champs, afin d’être photographié auprès de «ses» troupes de police, malgré le fiasco – assumé? – d’un dispositif dont on n’a pas fini de parler…
Écarts. Reste la question récurrente: un ministre est-il ministre à temps plein? On peinera à le croire, mais, après sa virée en boîte, Castaner en personne tenta de justifier l’importance de sa fonction, et la conscience qu’il en avait, par cet invraisemblable lapsus: «Être ministre de l’Intérieur, c’est l’être 7 jours sur 4, 24 heures sur 24.» Rigolons, rigolons… jusqu’à un certain point.
Incarner l’autorité, et réclamer l’exemplarité, nécessite de la crédibilité. Sauf à considérer que le respect de la vie privée se mesure au détriment de la liberté d’expression. En somme, une femme ou un homme d’État peut-il encore cacher des choses, dans la mesure où, censément, comme ils le professent, ils font don de leur personne aux citoyens, pour ne pas risquer de les inquiéter, voire de les berner? Les observateurs offusqués qui se disent patentés confondent la vie privée de l’article 9 du Code civil («Chacun a droit au respect de sa vie privée») avec celle de l’article 226-1 du Code pénal (qui vise les photos prises dans un domicile et les micros cachés) et surtout les termes de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme («Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance»). Depuis des décennies, la quasi-totalité des politiques ont ouvert la porte de la chambre à coucher, ils nous entretiennent d’eux-mêmes, en partie pour ne plus avoir à parler de nous. De quoi ces mises en scène de l’intime sont-elles le symptôme? Cette «pipolisation» n’a pas seulement affecté la politique, mais l’intime lui-même, qui s’est trouvé dévalué d’être ainsi donné à voir. Cette privation de l’intime, telle une «privatisation», c’est-à-dire sa confusion avec les propriétés du moi comme ambivalences de la «modernité» libérale, ne l’ont-ils pas bien cherchée? Résultat: que cela plaise ou non, la vie «privée» des personnalités politiques fait partie de la vie publique. Au nom de cette légitimité républicaine qui tend à disparaître, les écarts de Castaner auraient dû être sanctionnés immédiatement. Non?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 mars 2019...]

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