On parle beaucoup de feel-good en littérature pour désigner des ouvrages qui "font du bien" à leurs lecteurs. Il me semble que le terme n'est pas employé au théâtre. On se contente de parler, quasiment avec mépris, de "théâtre de boulevard" dès lors qu'il s'agit d'une pièce destinée à faire rire, en général un vaudeville.
La dégustation, même si elle est jouée dans un théâtre qui se trouve sur les grands boulevards (d'où le nom de la catégorie inventée au XIX° siècle) est bien plus que cela.
Voilà donc un spectacle dont on ressort avec le sourire aux lèvres, et la sensation de se porter mieux. Si on veut la caractériser on dira aussi bien qu'il s'agit d'une comédie romantique.
On connait Ivan Calbérac. C'est l'auteur de Venise n'est pas en Italie (qui sort ces jours prochains au cinéma ...). Il sait écrire des répliques qui sonnent juste et il maitrise aussi la mise en scène. Ajoutez des acteurs de (grand) métier et vous aurez le bon cocktail pour garantir l'accord parfait.
Résumons le propos : Divorcé du genre bourru, et célibataire depuis trop longtemps, Jacques tient seul une petite cave à vins. Hortense, engagée dans l’associatif, tout proche de finir vieille fille, débarque un jour dans sa boutique et décide de s’inscrire à un atelier dégustation.Mais pour que deux âmes perdues se reconnaissent, il faut parfois un petit miracle. Ce miracle s’appellera Steve, un jeune en liberté conditionnelle, qui, contre toute attente, va les rapprocher.Et quand trois personnes issues d’univers si différents se rencontrent, c’est parfois un grand bonheur… Ou un chaos total. Chacun à leur manière, ils vont sérieusement déguster !
Le spectateur se rend vite compte que chaque personnage a une faille qui sera plus ou moins compatible avec les exigences de son partenaire potentiel. Jacques a un profil passif agressif et Hortense maso-parano, passionnée de psychologie.
L'auteur s'est amusé à multiplier les jeux de mots. Le Médoc devient par exemple le moyen de se soigner d'un état dépressif. On s'amuse et on rit franchement de leurs comportements un peu puérils, jusqu'à ce que l'émotion nous rattrape. On retiendra l'injonction médicale d'écouter son coeur el plus souvent possible. Et pour ma part je ne pourrai plus entendre Petite fleur de Sidney Bechet sans penser à cette Dégustation.
Isabelle Carré et Bernard Campan composent un couple crédible qui nous avait déjà touché au cinéma avec le magnifique film réalisé par Zabou Breitman, Se souvenir des belles choses (en 2002). J'ai aussi pensé aux Emotifs anonymes de Jean-Pierre Améris (2010) où Isabelle interprétait un rôle assez proche.
Mounir Amamra est ce jeune beur apparemment repenti mais incapable de ne pas être tenté par un nouveau larcin. Heureusement le personnage a un coeur d'or et suscite l'attendrissement. Éric Viellard (le voisin libraire) et Olivier Claverie (le médecin) apportent d'autres nuances de jeu à cette pièce très équilibrée. On est surpris qu'elle se termine si vite parce qu'on serait bien resté encore un peu avec cette bande.
On ne peut pas faire l'impasse sur l'alcoolisme et c'est astucieusement que l'auteur nous en rappelle à la fin les conséquences... Et j'espère que la comédienne exécute chaque soir sa danse du soleil. C'est un joli moment aux saluts.
A signaler enfin que le premier roman d'Isabelle, Les rêveurs, sort ces jourc-ci en format poche.
La dégustation
Une pièce de Ivan Calbérac
Avec Isabelle Carré et Bernard Campan, Mounir Amamra, Éric Viellard et Olivier Claverie
Mise en scène : Ivan Calbérac
Scénographie : Édouard Laug – Lumières : Laurent Béal – Costumes : Cécile Magnan
Au Théâtre de la Renaissance
20 Boulevard Saint-Martin, 75010 Paris - 01 42 08 18 50
Du mardi au samedi à 21h
Matinées samedi et dimanche à 16h30