Ce sont près de 500 ouvrages qui arrivent en librairie dont 77 qui ont été écrit par quelqu'un qui se lance dans le métier. Même si les seconds romans (et les suivants) méritent qu'on s'y intéresse il va de soi que les premiers ont une place à part et que l'attention qu'on leur porte est précieuse pour les auteurs.
Certains rencontrent immédiatement leur public. C'est le cas de San Perdido dont on parle déjà beaucoup, et à juste titre. Nul besoin de comprendre l'espagnol pour avoir pigé qu'il sera question d'un trou perdu ou d'un lieu de perdition ...
L'illustration de la couverture m'évoque les quartiers pauvres des périphéries des villes mexicaines, aux façades très colorées, joyeuses et tentantes, où l'on a envie de faire du tourisme sans réaliser qu'y mettre le pied serait une aventure risquée.
On a tous en tête une vision de ces "favellas" et autres décharges à ciel ouvert comme celle de San Perdido où survivent des chiffonniers. Notre imaginaire est nourri de reportages et de mythes. On pense évidemment qu'émergera un personnage de femme forte ... à l'image de Mère Teresa.
C'est le domaine de Felicia, la Ghanéenne qui se prendra d'affection pour Hissa, l'enfant battu et pour celui qu'elle surnomme La Langosta, un gamin muet à la force herculéenne, à l'intelligence extrême et au regard brûlant, sorti de nulle part, que tout le monde désignera sous le nom de La Mano et dont la véritable identité, Yervo Kwinton, ne sera connue que par quelques intimes.
David Zukerman prévient le lecteur et instaure d'emblée la règle du jeu : Les légendes sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité. Elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs (p.9). La définition qu'il donne du héros est son fil directeur : Qu’est-ce qu’un héros, sinon un homme qui réalise un jour les rêves secrets de tout un peuple ? (p. 10) Quant au dernier paragraphe du roman il a pour moi le ton du conte.
Les quatre cent pages du récit se lisent avec plaisir. On se laisse projeter dans ce que certains ont pensé être un eldorado, une petite ville côtière du Panama aussi impitoyable que bigarrée, dans une région marquée par les scandales et les contrastes, où le pauvre peut grimper dans la hiérarchie sociale et où le riche peut tout perdre en un éclair, dans un mouvement de balancier dont le lecteur va découvrir le bras.
La décharge, le palais du gouverneur, la villa de l'avenue de Santa Clara, le boulevard des Négriers et la place Dorée sont autant d'univers différents, chacun ayant ses codes, où se côtoient, s'évitent et parfois se rencontrent une pléiade de personnages hauts en couleur. Ils composent un puzzle qui est le théâtre de leurs turpitudes, de leurs passions et parfois de leurs enrichissements, financier ou personnel.
A San Perdido les notions de bien et de mal sont relatives. La pauvreté force à accepter des actes intolérables partout ailleurs (p.69) et la beauté peut être une malédiction.
Le roman est exotique, bien sûr, très savoureux, historique (on en apprend beaucoup sur les anciens esclaves africains qu'on désigne sous le nom de Cimarrons), propice à exalter notre imaginaire et notre soif de justice. On palpite. On sourit. On tremble. On s'interroge sur les liens qui unissent chaque protagoniste à l'enfant mystérieux. On sera fixé le moment venu, au bout d'un voyage qui restera longtemps dans nos mémoires.
San Perdido de David Zukerman, Calmann-Lévy, en librairie depuis le 2 janvier 2019