On dit que je m’amuse
Et que bien sûr je fais exprès
De haler cette râpe de pierre au plus près
De mon cœur léger d’érable qui s’use
Mais je suis parmi vous
Devant l’établi sous la neige
Les uns se sont assis d’autres mis à genoux
Et maintenant de mes mains que ferai-je ?
Je ne suis pas venu
Pour vous maudire ou vous comprendre
Un matin j’ai quitté mon lit dans le ciel nu
J’ai roulé dans votre printemps très tendre
Il y a si longtemps
Que je mûris pêche pourrie
Dans l’hiver de la nappe immaculée des temps
L’auréole s’empourpre quand je prie
Et je vois les blancheurs
De mon verger sous la nuit claire
Je respire à nouveau cette obscure fraîcheur
De ma vieille maison dans la lumière
Mais ce pays n’est plus
Sans doute que la meurtrissure
D’un coup de poing dans le pauvre visage imbu
De pluie du ciel ancien maigre pelure
Je ne menuiserai
Plus que le creux et long poème
De ma mort et près de Clara ne resterai
Que le temps de lui dire si je l’aime
J’irai loin des villages
Et il se peut qu’alors je sois
Quelque chose comme un suicidé les doigts
Pleins de fleurs dans la niche des feuillages.
***
Jean-Philippe Salabreuil (1940-1970) – La Liberté des feuilles (Gallimard/Le Chemin, 1964)