Page 42, Hélène Berr évoque "J'ai pleuré en rêve" d'Henri Heine:
J’ai pleuré en rêve ! je rêvais que tu étais morte ! je m’éveillai, et les larmes coulèrent de mes joues.
J’ai pleuré en rêve ! je rêvais que tu me quittais ! je m’éveillai, et je pleurai amèrement longtemps après.
J’ai pleuré en rêve ! je rêvais que tu m’aimais encore ! je m’éveillai, et le torrent de mes larmes coule toujours.
57Toutes les nuits je te vois en rêve, et je te vois souriant gracieusement, et je me précipite en sanglotant à tes pieds chéris.
Tu me regardes d’un air triste, et tu secoues ta blonde petite tête ! de tes yeux coulent les perles humides de tes larmes.
Tu me dis tout bas un mot, et tu me donnes un bouquet de roses blanches. Je m’éveille, et le bouquet est disparu, et j’ai oublié le mot.
58La pluie et le vent d’automne hurlent et mugissent dans la nuit ! où peut se trouver à cette heure ma pauvre, ma timide enfant ?
Je la vois appuyée à sa fenêtre, dans sa chambrette solitaire ! les yeux remplis de larmes, elle plonge ses regards dans les ténèbres profondes.
59Le vent d’automne secoue les arbres, la nuit est humide et froide ! enveloppé d’un manteau gris, je traverse à cheval le bois.
Et tandis que je chevauche, mes pensées galopent devant moi ! elles me portent léger et joyeux à la maison de ma bien- aimée.
Les chiens aboient, les valets paraissent avec des flambeaux ! je gravis l’escalier de marbre en faisant retentir mes éperons sonores.
Dans une chambre garnie de tapis et brillamment éclairée, au milieu d’une atmosphère tiède et parfumée, ma bien-aimée m’attend. Je me précipite dans ses bras.
Le vent murmure dans les feuilles, le chêne chuchote dans ses rameaux : « Que veux-tu, fou cavalier, avec ton rêve insensé ? »
60Une étoile tombe de son étincelante demeure, c’est l’étoile de l’amour que je vois tomber !
Il tombe des pommiers beaucoup de fleurs et de feuilles blanches ! les vents taquins les emportent et se jouent avec elles.
Le cygne chante dans l’étang, il s’approche et s’éloigne du rivage, et, toujours chantant plus bas, il plonge dans sa tombe liquide.
Tout alentour est calme et sombre ! feuilles et fleurs sont emportées ! l’étoile a tristement disparu dans sa chute, et le chant du cygne a cessé.
61Un rêve m’a transporté dans un château gigantesque, rempli de lumières et de vapeurs magiques, et où une foule bariolée se répandait à travers le dédale des appartements. La troupe, blême, cherchait la porte de sortie en se tordant convulsivement les mains et en poussant des cris d’angoisse. Des dames et des chevaliers se voyaient dans la foule ! je me vis moi-même entraîné par la cohue.
Cependant, tout à coup je me trouvai seul, et je me demandai comment cette multitude avait pu s’évanouir aussi promptement. Et je me mis à marcher, me précipitant à travers les salles, qui s’embrouillaient étrangement. Mes pieds étaient de plomb, une angoisse mortelle m’étreignait le cœur ! je désespérai bientôt de trouver une issue. — J’arrivai enfin à la dernière porte ! j’allais la franchir… O Dieu ! qui m’en défend le passage ?
C’était ma bien-aimée qui se tenait devant la porte, le chagrin sur les lèvres, le souci sur le front. Je dus reculer, elle me fit signe de la main ! je ne savais si c’était un avertissement ou un reproche. Pourtant, dans ses yeux brillait un doux feu qui me fit tressaillir le cœur. Tandis qu’elle me regardait d’un air sévère et singulier, mais pourtant si plein d’amour,… je m’éveillai.
62La nuit était froide et muette ! je parcourais lamentablement la forêt. J’ai secoué les arbres de leur sommeil, ils ont hoché la tête d’un air de compassion.
Au carrefour sont enterrés ceux qui ont péri par le suicide ! une fleur bleue s’épanouit là ! on la nomme la fleur de l’âme damnée.
Je m’arrêtai au carrefour et je soupirai ! la nuit était froide et muette. Au clair de la lune, se balançait lentement la fleur de l’âme damnée.
64D’épaisses ténèbres m’enveloppent, depuis que la lumière de tes yeux ne m’éblouit plus, ma bien-aimée.
Pour moi s’est éteinte la douce clarté de l’étoile d’amour ! un abîme s’ouvre à mes pieds : engloutis-moi, nuit éternelle !
65La nuit s’étendait sur mes yeux, j’avais du plomb sur ma bouche ! le cœur et la tête engourdis, je gisais au fond de la tombe.
Après avoir dormi, je ne puis dire pendant combien de temps, je m’éveillai, et il me sembla qu’on frappait à mon tombeau.
— « Ne vas-tu pas te lever, Henri ? Le jour éternel luit, les morts sont ressuscités : l’éternelle félicité commence. »
— « Mon amour je ne puis me lever car je suis toujours aveugle ! à force de pleurer, mes yeux se sont éteints. »
— « Je veux, par mes baisers, Henri, enlever la nuit qui te couvre les yeux ! il faut que tu voies les anges et la splendeur des cieux. »
— « Mon amour, je ne puis me lever ! la blessure qu’un mot de toi m’a faite au cœur saigne toujours. »
— « Je pose légèrement ma main sur ton cœur, Henri ! cela ne saignera plus ! ta blessure est guérie. »
— « Mon amour, je ne puis me lever, j’ai aussi une blessure qui saigne à la tête ! je m’y suis logé une balle de plomb lorsque tu m’as été ravie. »
— « Avec les boucles de mes cheveux, Henri, je bouche la blessure de ta tête, et j’arrête le flot de ton sang, et je te rends la tête saine. »
La voix priait d’une façon si charmante et si douce, que je ne pus résister ! je voulus me lever et aller vers la bien-aimée.
Soudain mes blessures se rouvrirent, un flot de sang s’élança avec violence de ma tête et de ma poitrine, et voilà que je suis éveillé.
66Il s’agit d’enterrer les vieilles et méchantes chansons, les lourds et tristes rêves ! allez me chercher un grand cercueil.
J’y mettrai bien des choses, vous verrez tout à l’heure ! il faut que le cercueil soit encore plus grand que la tonne de Heidelberg.
Allez me chercher aussi une civière de planche solides et épaisses ! il faut qu’elle soit plus longue que le pont de Mayence.
Et amenez-moi aussi douze géants encore plus forts que le saint Christophe du dôme de Cologne sur le Rhin.
Il faut qu’ils transportent le cercueil et le jettent à la mer ! un aussi grand cercueil demande une grande fosse.
Savez-vous pourquoi il faut que ce cercueil soit si grand et si lourd ? J’y déposerai en même temps mon amour et mes souffrances.
APPENDICE 1Belles et pures étoiles d’or, saluez ma bien-aimée dans son lointain pays. Dites-lui mon cœur toujours malade, ma pâleur et ma fidélité.
2Enveloppe-moi de tes caresses, ô belle femme, bien-aimée ! Entoure-moi de tes bras et de tes jambes et de tout ton corps flexible.
C’est ainsi que le plus beau des serpents procéda avec le bien heureux Laocoon.
3Je ne crois pas au ciel dont parle la prêtraille ! je ne crois qu’à tes yeux qui, pour moi, sont le ciel.
Je ne crois pas au Seigneur Dieu dont parle la prêtraille ! je ne crois qu’à ton cœur et n’ai pas d’autre Dieu.
Je ne crois pas au Diable, à l’Enfer et à ses tourments ! je ne crois qu’à tes yeux et à ton cœur perfide.
4Amitié, amour, pierre philosophale, j’entendais célébrer ces trois choses ! je les ai célébrées et je les ai cherchées, mais hélas ! je ne les ai jamais rencontrées.
5Les fleurs regardent toutes vers le soleil étincelant ! tous les fleuves prennent leur course vers la mer étincelante.
Tous les lieder vont voltigeant vers mon étincelante aimée. Emportez-lui mes larmes et mes soupirs, ô lieder tristes et dolents !
http://fr.wikisource.org/wiki/Intermezzo_lyrique_(Heine,_Nerval)
Pour lire le début de ce poème,cf.ci-dessous.
Pour voir mes 2 autres notes sur ce livre:
http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2008/07/10/je-viens-de-commencer-helene-berr-journal.html
http://www.lauravanel-coytte.com/archive/2008/07/10/dans-ma-lecture-du-journal-d-helene-berr.html