J’ai lu ce court roman de Milan Kundera dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
Milan Kundera (né en 1929) est un écrivain tchèque, installé en France en 1975 et naturalisé français en 1981. S’il écrit ses premières oeuvres dans sa langue maternelle, ses livres ultérieurs sont écrits en français. Ses oeuvres sont publiés dans la Pléiade à partir de 2011. La Fête de l’insignifiance, publiée en 2014, est son dernier roman (pour le moment).
D’habitude, je résume succinctement le début du roman pour donner une idée de l’histoire, des protagonistes, des thèmes, etc.
Mais cette fois-ci, cette manière de procéder me semble inutile car il n’y a pas vraiment (pas du tout) d’histoire et que les personnages, brossés à grands traits, sont plutôt des prototypes de caractères bien particuliers : ainsi D’Ardelo est le Narcissique facétieux, Alain est « l’excusard » (celui qui porte une grande culpabilité et une histoire familiale lourde à porter et qui se croit obligé de s’excuser à tout propos), Caliban a une vocation d’acteur et se fait passer pour Pakistanais, poussant jusqu’à inventer de toutes pièces une langue pakistanaise crédible, avec ses sonorités et sa grammaire, Caquelique est le prototype de l’homme insignifiant qui, pour cette raison, plaît beaucoup plus aux femmes que les hommes brillants.
Bien que ces personnages aient l’air au premier abord décrits sans beaucoup de nuances, ils prennent cependant une grande profondeur, par des analyses psychologiques, historiques, sociales, philosophiques, qui nous font également comprendre que ces personnages ne sont que des prétextes pour regarder le monde et notre société sous l’angle de l’ironie, de la blague, de la pirouette, des tonalités où Kundera a toujours excellé.
Malgré tout, bien que ce livre soit assez réjouissant pour l’esprit, à la fois inventif et savant, mélangeant la réalité (Le Jardin du Luxembourg, Staline et ses conseillers), le mensonge, l’imagination de l’auteur mais aussi celles de ses personnages (Alain fantasmant sur les nombrils féminins, puis Alain fantasmant sur une tentative de suicide de sa mère débouchant sur un assassinat), sautant volontiers du coq à l’âne et brouillant les pistes avec brio, il m’a semblé que le propos du livre – l’insignifiance du monde, son absurdité comique – avait déjà été traitée de manière plus convaincante dans d’autres romans de Kundera, comme La Plaisanterie, Risibles amours, L’ignorance, et sans doute bien d’autres.
Pour cette raison, je conseillerais ce livre seulement à un inconditionnel de Kundera, ayant déjà lu tous ses autres livres, mais pour un lecteur novice de cet auteur je conseillerais plutôt un des livres cités plus haut, ou encore le roman L’Identité, qui reste un de mes livres préférés.
Extrait page 51
Se sentir ou ne pas se sentir coupable. Je pense que tout est là. La vie est une lutte de tous contre tous. C’est connu. Mais comment cette lutte se déroule-t-elle dans une société plus ou moins civilisée ? Les gens ne peuvent pas se ruer les uns sur les autres dès qu’ils s’aperçoivent. Au lieu de cela, ils essaient de jeter sur autrui l’opprobre de la culpabilité. Gagnera qui réussira à rendre l’autre coupable. Perdra qui avouera sa faute. Tu vas dans la rue, plongé dans tes pensées. Venant vers toi, une fille, comme si elle était seule au monde, sans regarder ni à gauche ni à droite, marche droit devant elle. Vous vous bousculez. Et voilà le moment de vérité. Qui va engueuler l’autre, et qui va s’excuser ?