Écrivain et poète, chroniqueur dans La Vie depuis bien des années, Philippe Mac Leod est décédé le 25 février. Nous lui rendons hommage en publiant ce texte inédit.
© Jean-Pierre Denis - Après les obsèques de Philippe Mac Leod, le 1er mars, plusieurs de ses amis et lecteurs se sont retrouvés dans les Côtes-d'Armor
Par une indéfinissable magie la lumière me retient sur le seuil. Il y a pourtant, à cette heure, encore tant à faire à l'intérieur de la maison : la vaisselle, par exemple, un brin de ménage dans les toiles d'araignée surprises par le soleil radieux. Malgré sa douceur, ce quelque chose d'indéfinissable à entendre et à comprendre s'impose d'une manière si impérieuse. Comment y résister ? Déjà le dos de la chaise vide m'interpellait de son silence cuivré, à table, mais ne mangeant ni ne parlant, buvant en chaque instant toute la lumière du monde, par petites gorgées, mais longues, longues et profondes. La lumière n'a pas d'âge, comme l'instant toujours neuf, comme le silence qui s'installe en moi dès que le cœur se détache de la chaîne des préoccupations : le silence, le beau silence roulé dans un mince reflet qui brille sur le bois de la table débarrassée ; le silence, lorsque la lumière s'entortille dans la rigole d'un brin d'herbe à la fenêtre, étale sur le grain grossier de la pierre un glacis de porcelaine ou colle sur la vitre un grand miroir aux eaux lisses et mobiles. Où que l'on se trouve, et à l'heure exacte où l'instant nous trouve, voici qu'apparaît la frêle chapelle d'un sanctuaire itinérant, avec son jour de vitrail, ses miroitements, ses ombres frêles et ses clartés d'un mystère tout proche. La lumière libère les sources de l'amour, en tout lieu ouvrant de petites failles, de tremblants interstices, longues fissures dans la pierre de nos inerties. C'est un appel à la vie, la vraie, au seul réel qui soit et ne se révèle que dans le détachement, l'attention enfin libre de toute attente. Ainsi les anges sans doute se posent-ils parmi nous, sans bruit, par milliers, sur le bord d'un meuble, dans un chausson qui traîne, parmi les fleurs sur les dalles de la terrasse. Leurs ailes déploient la lumière. Le silence garde le chatoiement de leur passage discret comme le tremblement d'un souffle. Ils ne s'attardent pas, jamais, ne connaissant pas l'insistance, mais laissent ouverte après leur départ la brèche, le mince interstice à travers lequel on voit l'abîme de douceur qui fait la profondeur des choses. Ils poussent des portes, ils plantent des échelles, ils plongent des regards émerveillés en nous invitant à descendre le long de la corde « entretissée » de l'or du jour et du fil ténu d'un chant d'oiseau plus solide que le temps qui passe. On hésite à les suivre, confortablement assis dans un fauteuil. On guette cependant, on veille. On est peut-être un de ces anges, le temps d'un silence, dans la grande lumière, le monde un moment suspendu, aussi léger que le rayon dans les branches, le reflet d'un nuage embrasé à la surface de l'eau en contrebas, froide et pure encore de tout savoir. De même, à la surface des yeux, il n'est plus rien à retenir. Il s'agit seulement de s'ouvrir à cet instant de la révélation que certifie la paix de son sceau inimitable. On ne trouve plus la place pour une pensée, la trop encombrante mémoire, et si revient la complainte du chagrin, le monde tout entier se referme et me laisse au dehors. L'amour toujours plus léger, plus transparent, m'invite à l'ascèse de l'instant, laissant tout sur le seuil, la plainte et la rengaine, pour entrer nu comme la lumière dans cette plénitude d'un moment d'être véritable. Oh ! Lave-moi, douce lumière ! Loin au fond de la chair encore sombre et nouée par endroits. Purifie-moi aux sources de l'instant, qui fait le seul présent de Dieu et la couleur si fragile de l'amour. *****Philippe Mac Leod
1954 Naissance à Port-Lyautey, au Maroc.
2016 S'installe près de la chapelle de Goz-Iliz dans les Côtes-d'Armor.
2019 Supplique du vivant et Variations sur le silence (Ad Solem).
25 février Décès. ******