Le titre du recueil de Thomas Vinau, Comme un lundi, désigne le retour sans fin de la semaine et l'usure qu'il entraîne au-delà du simple lundi, dans la suite des jours. Les textes de ce livre rendent compte de cette sensation, de cette fatigue : « Le temps nous marche dessus. Sous ses semelles une nouvelle semaine. » (p.25). Cependant, le sous-titre permet de nuancer cette première idée : Carnet de bord assis tout au bord du temps. Tout en situant son écriture en plein dans l'écrasement du temps qui ressemble au « courant qui ramasse tout, qui écrase tout, qui disperse tout. » (p.13), Thomas Vinau cherche à faire un écart vis-à-vis du passage inflexible des jours. Il peut ainsi se comparer aux « insectes qui regardent ce qui se passe au fond de leurs buissons » (p.33). L'enjeu est complexe car essentiel : le poète ne cherche pas à écrire à distance de la vie et de ses « courbatures » (p.69), mais ses textes sont un pas de côté afin de ne pas subir, dans la conscience malgré tout du risque de perte qu'entraîne à un tel écart : « Ce décalage me sauve. Me condamne. » (p.33). Un livre alors, et ce livre en particulier, doit pouvoir à la fois nous faire tenir face à la vie et nous y ramener, nous y ancrer. Ainsi, il faudrait, pour reprendre les mots de l'auteur, non pas écrire un livre mais allumer un livre (p.34) comme un feu nous éclaire et nous réchauffe.
Chaque prose du livre note alors ce qui, du quotidien modeste, éveille et fait respirer. Il n'y a rien de monotone à cela, tout au contraire puisqu'il est question d'exprimer, de partager ce qui prend et donne vie fragilement : « Chaque petite lumière. Chaque matin, à l'aube, refaire les premiers pas. Les petits. Les meilleurs. Dans l'eau fraîche des commencements. Mi-titubant, mi-dansant. » (p.53). Pour revenir au titre : entendons aussi, à travers le retour de l'identique, cette voix vive des « commencements ». Celle-ci se trouve autant dans une lumière (p.21, 46), une odeur (p.22, 63), une musique (p.36, 53), un sentiment de tendresse amoureuse (p.39) ou paternelle (p.40) que dans la présence anodine de deux pigeons (p.47) ou encore dans le geste banal d'ouvrir un vieux pot de confiture et un regard sur son passé (p.105)... Tout et rien, comme peuvent bien le dire les listes rassemblant les « miettes » qui font notre regard quotidien et auxquelles on s'attache, desquelles on fait notre vie :
« Il faut y aller mollo, en s'accrochant aux choses simples, en nommant la proximité. Grincement du volet vert. Froid par les chevilles. Jour sur lequel on ne peut pas compter. Chien louvoyant. Miettes sur la table. Pot de confiture vide. Café très noir, très chaud. » (p.14)
Mais avant tout, ainsi nommer ce qui nous anime, si petit que cela puisse être, c'est, selon Thomas Vinau, faire acte moins d'écriture que d'amour : « Je voudrais juste en garder quelque chose. Quelque chose de vivant. Autre chose que la conscience que j'en ai. Autre chose que la peur de le perdre. C'est la raison pour laquelle j'écris ces mots. Ce n'est pas de la littérature. C'est de l'amour. J'écris comme on ferme les yeux en embrassant quelqu'un. » (p.16). En cela, ce carnet de bord assis tout au bord du temps est aussi un carnet de résistance, au cœur de l'absurde et de la violence de notre temps (p.26), en vue de garder nos sens vifs en chacun de nos gestes et de notre prose, et ainsi ne pas se perdre : « C'est le petit radeau du jour. Il faut ramer avec ses mains. Tremper son pied dans le grand rien. Familiariser la lumière. C'est une bataille sans prestige. La seule qui vaille. Le véritable goût de l'eau. » (p. 65).
Antoine Bertot
Thomas Vinau, Comme un lundi, carnet de bord assis tout au bord du temps, La fosse aux ours, 2018, 128p., 15€.